Maudite soit la guerre

Ce monument, il a été construit quatre ans après la fin de la guerre, en 1922. L’artiste qui devait le réaliser ne voulait pas faire une sculpture avec des soldats, des fusils, comme il y en a sur toutes les places des villages de France. On lui a raconté mon histoire. Il m’a demandé de poser pour lui, avec mes sabots, ma blouse grise d’écolier, ma casquette à la main. J’ai encore grandi depuis, mais c’est bien moi, en statue, que l’on voit devant la liste des morts, le poing serré, avec cette phrase gravée à hauteur de mes yeux : Maudite soit la guerre.
Ces phrases sont celles du narrateur-personnage, Fulbert Delorge, âgé de onze ans. Comme tous les enfants de son âge, celui-ci se rend à l’école où Monsieur Bonnard, l’instituteur, inscrit au tableau noir la date et la phrase patriotique du jour. Ces phrases sonnent comme autant d’appels au nationalisme pour nous, Européens contemporains, persuadés, il y a quelques mois encore, que la guerre sur notre territoire était décidément et définitivement un fait qui relèverait de l’histoire : dans les phrases de Monsieur Bonnard, il est question de « sacrifices de ses biens et de sa vie pour la patrie », « du devoir » et surtout « de l’honneur d’être soldat ». Le sujet de la rédaction sera, lui aussi, inspiré par le contexte : l’instituteur propose à ses jeunes élèves d’écrire à leur père au front pour « donner du courage à ceux qui défendent notre patrie, au péril de leur vie ». Pourtant, dans la classe de Monsieur Bonnard, certains, comme Théophile, n’ont déjà plus de destinataire à leur lettre. Fulbert, lui, espère encore que son père lira la sienne et décide de la lui porter en mains propres.
De nombreux albums relatent la grande guerre, ou un épisode de celle-ci comme la trêve de Noël*. Loin des hommages au courage, à la force, au sacrifice et à la virilité, Daeninckx et Pef, inspirés par un monument aux morts érigé dans un village du Limousin, donnent la parole à un jeune garçon dont l’enfance et l’avenir ont été ravis par le nationalisme aveugle des hommes. Maudite soit la guerre réussit ainsi le pari de conjuguer le réalisme des faits historiques à la défense d’un pacifisme assumé.
* Morpurgo, M. (2005). La trêve de Noël. Paris : Gallimard Jeunesse.