L'immortelle

Ricard Ruiz Garzón
Traduit de l’espagnol par Anne Cohen Beucher
Éditions Alice jeunesse, 2019
Par Deborah Danblon
Judit n’a qu’une idée en tête, passer et surtout réussir un grand concours de dessin. Il faut qu’elle l’obtienne si elle veut entrer dans l’école de ses rêves. Alors, elle s’exerce sans relâche. Pour qu’elle pratique sa technique, et pour varier les sujets, son grand-père l’emmène au parc où elle s’entraine à croquer les joueurs d’échecs. Et, qui l’eut cru, elle qui ne jurait que par les crayons et les pinceaux se découvre une nouvelle passion. Le jeu lui-même. Passion attisée par son aïeul qui s’en réjouit secrètement et par Maître Aliyat, un vieux joueur iranien, aussi génial que sans papiers. Concentrée sur la partie qu’elle décide de jouer presque malgré elle et sous l’œil d’un étrange narrateur, il va falloir un temps à la jeune fille pour comprendre qu’autour d’eux, un jeu d’une tout autre ampleur est en train de se tisser.
En voilà un hommage multiple et enthousiasmant au monde des échecs. La partie ne se joue pas que dans l’histoire, elle se développe aussi au fil des pages par le biais d’une construction subtile et implacable que les amateurs apprécieront. Mais il n’est pas besoin de maîtriser les échecs pour apprécier le livre parce que l’auteur ne s’arrête pas là, au point presque de dire que les pions et leur histoire ne sont qu’un prétexte pour aborder des choses essentielles. Car, dans son roman, Ricard Ruiz Garzón touche à bien des sujets cuisants, comme les secrets de famille, le sort des réfugiés, les inégalités sociales ou encore les choix de vie et le droit d’être soi. Et il le fait avec finesse, malice sans et oublier de divertir le lecteur. Une fameuse quadrature qu’il relève avec brio. Et qui plus est, on découvre au fil des pages quantité d’anecdotes sur le noble art tout en se faisant parfaitement tenir en haleine jusqu’au dénouement. Du grand art. Avec, en conclusion, une morale essentielle s’il en est (et sans rien vous divulgâcher, bien sûr) : Judit découvrira que parfois, c’est en acceptant de perdre qu’on peut gagner.