La mémoire neuve

Emily BAAR, Flora Banks
Éditions Casterman.
Roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), The One Memory of Flora Banks, 2017
Par Geneviève Hauzeur
« Flora sois forte » « Ne plus jamais appeler Paige ni lui envoyer de textos » « Mes parents me cachent un secret » « Photos sur le tél. » « Ne pas paniquer. Prendre mes médicaments » « J’adore Abbey Road » « Histoire de Flora. A lire si tu te sens perdue »
Son histoire, Flora la réapprend à chaque instant via les écrits – post-it, carnets, textos – qui la lui rappellent et auxquels elle s’accroche pour survivre. L’histoire de Flora s’écrit aussi sur ses mains, ses poignets, ses bras. Car Flora, 17 ans, est enfermée dans la mémoire d’une enfant de 10 ans et elle entend bien dépasser ce périmètre étriqué : son handicap, mais aussi celui que son environnement familial lui impose au nom du manque d’autonomie et de la vulnérabilité qu’il lui suppose.
Flora souffre d’une amnésie particulière : « tu peux garder les choses en tête pendant une durée d’environ deux heures, ensuite tu les oublies ». Jusqu’au jour où Flora embrasse Drake. Un baiser qui devient un vrai souvenir. Et ce souvenir lance la jeune fille dans une folle aventure : retrouver le jeune homme qui a ouvert une brèche dans son amnésie. Seule, elle quitte ses Cornouailles natales dans l’espoir de le rejoindre à Spitzberg, une petite ile de l’Arctique où rien ne distingue la succession des nuits et des jours.
L’aventure de Flora pourrait se limiter au témoignage d’une résilience spécifique à une maladie, mais l’histoire de Flora n’est pas un témoignage. En nous emmenant dans son périlleux périple, la jeune fille nous fait (re)vivre un parcours d’émancipation universel : être forte quand on vous dit fragile, braver l’interdit de quitter le nid protecteur au risque d’y perdre ses repères, se souvenir de chaque instant pour se construire et être soi-même.
En nous livrant chaque instant de sa vie dans son immédiateté vierge de toute mémoire, la narratrice nous transmet ses émotions, ses élans et ses peurs, avec une authenticité des plus touchantes. Et cette narration, scandée par la découverte réitérée des traces écrites de chaque instant, a quelque chose de vertigineux. Une narration dont les répétitions inquiètent autant qu’elles envoûtent, en nous plongeant dans l’angoisse de l’absence de mémoire si indispensable à la construction de la personnalité.
Un petit bijou, qui offre aux adolescents une voie de sortie des déterminismes où ils peuvent se sentir englués, ainsi qu’aux adultes, qui parfois les surprotègent, une salutaire leçon de « lâcher prise »…