Jacqueline Lafont-Terranova - Namur Cédocef & PUN, 2009, Diptyque, n°15 (248 p).
Le premier des quatre chapitres que compte le livre de J. Lafont-Terranova est consacré à un panorama relativement complet, historique autant que topologique, de cette véritable nébuleuse que sont les ateliers d’écriture. Il montre bien comment les ateliers «de loisir» ont été, dès leur origine post-soixante-huitarde, travaillés par trois grandes tendances, trois modes d’investissement de l’acte d’écrire : l’écriture au service du développement personnel (le CICLOP de Frenkiel et Gohlhke), l’écriture comme aventure littéraire (E. Bing et A. Roche), l’écriture comme mise en oeuvre de la fonction poétique du langage (l’Oulipo).
Au-delà des tendances et entrées possibles dans la nébuleuse, il existe bien, de toute façon, des invariants qui définissent un «modèle d’atelier d’écriture de loisir» : travail en petit groupe (de volontaires), postulat de l’aptitude de chacun à l’écriture, proposition de médiations-tremplins pour écrire, prise de risque et en même temps bienveillance pour les productions. Et pour la scansion des séances : tremplin, temps d’écriture, lecture des textes et commentaires, avec, parfois, un temps de réécriture. Dès lors, la question qui préoccupe l’auteure est la suivante : l’école peut-elle, sans le pervertir, adopter ce «modèle» comme dispositif didactique ? C’est la question-clé du livre.
L’auteure ne veut rien abandonner de la richesse apportée par les diverses tendances, et il est clair que, pour elle, le modèle des ateliers de loisir ne trouve son plein intérêt que s’il peut apporter son concours à la construction du sujet-écrivant, et pas uniquement à l’acquisition de savoirs et savoir-faire techniques, comme trop de «chantiers» d’écriture se contentent de le faire à l’école. De là, donc, le titre de l’ouvrage.
La notion de sujet-écrivant renvoie à une conception élargie de la compétence scripturale, qui fait l’objet du chapitre deux. Font partie de la compétence scripturale et sont constitutives du sujet-écrivant la représentation que le scripteur se fait de l’écriture (en tant que processus langagier différent de l’oral) et la relation qu’il entretient avec elle (rejet/désir ; insécurité/confort). Il faut certes aussi compter les savoirs et savoir-faire (méta)cognitifs et (méta)linguistiques, ainsi que la capacité à la réécriture, comme partie intégrante du processus d’écriture. L’auteure montre comment, en théorie, le dispositif de l’atelier d’écriture doit aider le sujet-écrivant à se construire, à développer sa compétence scripturale dans toutes ses dimensions.
Le chapitre 3, qui comprend plus de 90 pages, est consacré à une démonstration pratique sur base d’une enquête menée dans trois ateliers qui, malgré leur différences (un atelier de loisir, un atelier lycéen, un atelier d’adultes en formation continuée), répondent au modèle défini ci-dessus. Les modes de fonctionnement sociaux, d’échanges linguistiques et les buts des ateliers sont décrits avec précision, et l’évolution de la compétence scripturale de onze participants est analysée dans toutes ses composantes : représentations, relations à l’écriture, développement des savoirs et savoir-faire, capacités de réécriture. Ce dernier point est particulièrement intéressant : grâce à une grille d’analyse fort précise, J. Lafont-Terranova démontre l’impact de la réécriture, malgré des stratégies différentes chez les scripteurs. Celle-ci produit ses effets les plus évidents au niveau textuel, notamment en favorisant les reformulations, alors que dans le cadre de l’école traditionnelle, ce sont généralement les simples corrections qui l’emportent.
Le chapitre 4, enfin, rend compte de deux expériences menées par l’auteure même dans des sections universitaires. La première concerne la mise en place d’ateliers d’écriture créative pour des étudiants en informatique d’un institut universitaire technologique, la seconde concerne des futurs professeurs des écoles. Les résultats de ces expériences mettent en évidence, chez les premiers, une découverte du gout (parfois douloureux) d’écrire, allant de pair avec un évolution de leurs conceptions de l’écriture ; avec les futurs enseignants, s’ajoute une dimension réflexive, proprement didactique, sur l’enseignement de l’écriture.
Nous trouvons particulièrement intéressant l’attachement de l’auteure à une conception élargie de la compétence scripturale, qui, au-delà des savoir-faire (méta)cognitifs et (méta)linguistiques, intègre pleinement les dimensions personnelles et affectives du scripteur, ou comme dit J. Lafont–Terranova, du sujet-écrivant. Nous y voyons un mouvement parallèle à celui qui, au travers des pratiques comme les cercles de lecture, tente de faire droit au «sujet-lisant». Ceux qui ne verraient dans ce recours aux ateliers ou aux cercles qu’un artifice pédagogique visant à accroitre la « motivation « des élèves pour des activités a priori rébarbatives ne comprendraient pas l’essentiel : si ces dispositifs fonctionnent, c’est parce que les étudiants y apprennent que l’écriture et la lecture en elles-mêmes peuvent revêtir pour eux beaucoup de sens.
Un seul regret : que le terrain d’expérimentation «scolaire» de J. Lafont-Terranova ne concerne que les étudiants les plus âgés. Que les enseignants de l’école fondamentale se rappellent toutefois qu’ils ne sont pas sans ressources et que, poussant dans le même sens, des enseignants-écrivains tels que Jean-Hugues Malineau, Gianni Rodari, Yak Rivais, Christian Poslaniec leur ont déjà mis le pied à l’étrier, et même donné bien du grain à moudre.
Christel Derydt / Marie Dumont
École des loisirs, Pastel. 2008.
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Niveau : Pour les tout-petits (2-4 ans)
Thèmes : peur du noir, peur du loup
Il fait noir… C’est l’heure de se coucher. Le petit cochon a peur du loup, il voit une paire d’yeux terrifiants, il entend… «crac»… de drôles de bruits. Qui cela peut-il bien être ? Est-ce le fameux loup ? Il appelle son papa qui arrive avec un objet qui se révèle bien utile… Une lampe de poche ! «Clic», l’animal mystérieux est démasqué. Il n’y a aucune raison d’avoir peur : ce n’est qu’un escargot qui est beau, une souris qui s’enfuit, une chouette qu’on embête, une grenouille qui fait la fripouille, deux papillons de nuit qui sourient. Le petit s’endort, rassuré. Donc, pas de loup ? Mais est-ce bien sûr ?
Découverte de l’album
La structure répétitive du récit favorise les prédictions, même chez les tout-petits. Après les premières identifications d’animaux, le lecteur adulte peut jouer à faire deviner l’identité des autres – et à s’en souvenir lors des relectures. La lecture du texte gagne à être accompagnée de bruitages ; un bruit peut être associé à chaque personnage. Par exemple :
Clic |
Cliquet (« clicker» pour animal) |
Chouette |
Feuille A3 pliée en 4 que l’on ouvre et l’on ferme lentement pour simuler le battement d’ailes de la chouette |
Crac |
Brindilles que l’on craque |
Grenouille |
Faire une grimace semblable à l’album et la bruiter |
Escargot |
Faire glisser deux doigts sur le dos de l’album |
Papillon |
Se frotter les paumes des mains l’une sur l’autre |
Souris |
Tapoter ses ongles sur une tablette |
Loup |
Ronflements |
Relecture
Le rôle important de la lampe de poche dans l’histoire nous invite à suggérer une relecture à partir d’une version «faite main» de l’album, construite précisément sur le principe de la «lampe magique»: animaux et décors sont reproduits sur divers transparents A4, placés sur des fonds noirs, ce qui les rend invisibles. Il suffit d’insérer une pièce de carton blanc ou jaune en forme de faisceau lumineux entre le transparent et le fond noir pour que les animaux et le décor deviennent visibles. Bien sûr, pour pouvoir insérer le carton-lampe magique, il faut que les transparents ne soient attachés aux fonds noirs que sur 2 ou 3 bords et que le carton lui-même soit manipulable grâce à une tige ou une baguette.
Expérimentation avec une classe d'étudiantes préscolaires de l'HEAJ
Pour compléter le dispositif, les fonds noirs sont de format A3, les transparents disposés sur la moitié droite. Sur la moitié gauche, les enfants pourront venir placer les personnages (papa et enfant) avec les physionomies adéquates selon le moment de l’histoire… Prévoir autant de personnages effrayés et rassurés qu’il y a de scènes.
L’adulte suscite un rappel de récit. Au fur et à mesure de l’histoire, les enfants viennent replacer les personnages en fonction des sentiments qu’ils éprouvent aux différents moments du récit et justifient leur choix. L’adulte vérifie également les hypothèses des enfants quant à l’animal qui a causé la fausse frayeur, grâce au faisceau lumineux. Les enfants peuvent manipuler ce matériel lors de leurs prochaines relectures.
Dramatisation
Nous suggérons l’utilisation d’une boite à théâtre, construite à partir d’une boite à chaussures, peinte en noir et fendue sur le haut et sur les côtés, pour permettre l’introduction des marionnettes plates. Celles-ci peuvent être fabriquées par les enfants (reproduction des personnages, pique à brochette).
Expérimentation dans la classe de Mme Ramelot (EFCF d'Heuvy-Namur)
Les enfants rejouent l’histoire en manipulant les marionnettes et en utilisant une vraie lampe de poche. Ne pas oublier de prévoir la paire d’yeux sur une pique à brochette. L’adulte peut verbaliser l’histoire… tout en laissant les enfants intervenir et reprendre le texte en fonction de leurs possibilités.
Invention (pour le degré moyen - 4 ans)
Avec des enfants plus âgés, on peut utiliser l’album comme tremplin pour la création d’un jeu où les enfants introduiront de nouveaux animaux, des animaux faussement effrayants comme dans l’album d’origine, mais aussi des animaux dont ils ont vraiment peur. L’adulte peut aider à trouver la rime ou l’assonance (ex. «un crocodile… sur son ile»).
Matériel
Le jeu peut être réalisé sur le modèle d’un jeu de cartes à deux faces – une face «clic» avec l’animal dessiné par un enfant et une face «crac», où l’adulte reproduira les yeux de l’animal dans le noir. Chaque enfant dispose d’une assiette en carton où il a dessiné sur une face une physionomie souriante, et sur l’autre une physionomie peureuse.
Déroulement
L’adulte est face aux enfants, qui sont assis et ont leur assiette sur les genoux. Il mélange le paquet de cartes et en tire une, en émettant un «crac» et en présentant la face «crac» aux enfants… Il pose la question : «Dangereux ou pas ?» Il peut émettre des bruitages pour donner des indices supplémentaires afin que les enfants devinent l’identité de l’animal. Les enfants ont 10 secondes pour présenter au-dessus de leur tête la face qu’ils souhaitent montrer souriante ou peureuse. Vérification en retournant la carte Discussions possibles sur le caractère dangereux ou non de l’animal. Chacun se réjouit de ses réussites et s’amuse de ses fausses peurs.
Renate Valtin Université Humbolt, Berlin
Pour marquer le dixième anniversaire de la circulaire du Ministère de l’Éducation et de la Culture «Soutien aux élèves ayant des difficultés particulières dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture» (instruction officielle du 16 novembre 1999, modifiée le 11 août 2000), j’ai été invitée à titre d’expert, par le Ministère bavarois de l’Éducation et la Culture, à faire le bilan des résultats scientifiques récents et des expériences pratiques en relation avec la dyslexie (en allemand, le terme utilisé est «Legasthenie») (23 Juillet 2009). Voici l’avis que j’ai remis.
La Conférence permanente du Ministère de l’Éducation et de la Culture (KMK) a publié le 4 décembre 2003 ses «Principes pour le soutien des élèves ayant des difficultés particulières liées à la lecture et l’écriture». Ceux-ci prévoient pour tous les enfants atteints de faiblesse en lecture et orthographe (FLO) des subsides et des soutiens particuliers (mesures de neutralisation de notes, de compensation du handicap1). En Bavière, cependant, une distinction est faite entre une dyslexie (considérée comme une «maladie quasi incurable») et une FLO. Alors que l’application des mesures de neutralisation de notes, de compensation du handicap et de passage de classe est obligatoire pour les dyslexiques, elle est seulement «possible» pour ceux qui n’ont qu’une FLO.
1Neutralisation de notes : En Allemagne, à partir de la 2e année primaire, les compétences en langage écrit et oral des élèves font l’objet de notes qui peuvent aller de 1 (excellent) à 6 (insuffisant). L’élève qui a plus d’un 5 sur son bulletin doit redoubler. Pour un élève diagnostiqué comme dyslexique, les notes d’orthographe (en dictée et expression écrite) ne sont pas prises en compte.
Compensation du handicap : lors des examens, les dyslexiques, comme les autres enfants handicapés, béneficient de conditions plus favorables, par exemple davantage de temps pour écrire leur composition. Leur accès au Gymnasium est également facilité (voir ci-après).
Alors que la Conférence permanente du Ministère de l’Éducation et de la Culture (KMK) compte sur l’école pour assurer non seulement le diagnostic mais aussi les conseils et le soutien aux enfants ayant des difficultés particulières liées à la lecture et l’écriture, en Bavière le diagnostic est posé par les médecins.
La Bavière suit donc ainsi une procédure spécifique pour le constat et la prise en charge des enfants FLO. Est-ce raisonnable et justifié ? Je présente ci-dessous une analyse critique des arguments favorables à cette mesure. En fait, une telle approche n’est utile que si les affirmations suivantes en faveur de la notion de dyslexie sont exactes.
Objection 1: La CIM-10 n’est pas infaillible. En 1993, l’homosexualité y était encore classée comme maladie.
Objection 2: au chapitre 81 VF les difficultés en lecture et en orthographe sont repertoriées comme «troubles spécifiques des acquisitions scolaires», cela n’a pas du tout le même sens que le mot maladie. Le terme « trouble» est tiré du vocabulaire de la psychologie, et n’a rien à voir avec le concept médical de maladie. Le terme suggère que c’est le processus de lecture qui est en cause, pas l’enfant. Dans la nouvelle édition de la CIM-10, il est à souligner que la classification est limitée à une description des phénomènes et ne donne aucun profil étiologique.
Objection 3: Le terme même de dyslexie n’y apparait pas. À aucun moment on n’y distingue un groupe connu en Bavière sous le nom de dyslexiques, parce qu’ils auraient des troubles de lecture et d’écriture provoqués par une affection héréditaire ou congénitale. Au contraire, il est souligné que l’étiologie de ces troubles est inconnue.
La référence à la CIM-10 est donc trompeuse. Ce n’est pas là qu’on pourra y trouver une justification du concept de dyslexie.
Objection: QI et performance en lecture et orthographe ne corrèlent que moyennement. Dans PIRLS, le test d’intelligence corrèle à r =. 50 avec les compétences en lecture, et à r =. 39 avec les performances en orthographe. Par conséquent, des écarts entre le QI et le rendement en lecture et en orthographe sont donc normaux et en aucun cas pathologiques.
Conclusion : le concept de dyslexie n’a pas de cohérence théorique.
Objection : quand on tente de déterminer l’écart entre le QI et les performances dans les tests de lecture et d’orthographe, deux calculs d’erreur interviennent, de plus ou moins 5 points pour le QI et de plus ou moins 2 points pour les tests de lecture et d’orthographe. Cela rend les résultats peu fiables. En outre, comme différents tests de QI, de lecture et d’orthographe peuvent être utilisés, certains enfants peuvent être diagnostiqués tantôt comme dyslexiques et tantôt non. Selon tel test, ue même enfant peut avoir un QI de 89 et selon tel autre, un QI de 96. Dans le premier cas, comme son QI est sous le seuil d’intelligence moyenne (90), il ne sera pas considéré comme dyslexique, dans l’autre cas, bien. (Valtin, 1981, idem dans PIRLS).
Conclusion : le concept de dyslexie n’a pas de cohérence méthodologique.
Objection : les dyslexiques ne diffèrent des enfants FLO ni dans leurs difficultés en lecture et en orthographe (Klicpera & Gasteige-Klicpera 1993 ; Valtin e.a. 2003), ni dans d’autres domaines fonctionnels (Valtin 1981, Webe, Marx & Schneider 2001). Ils font les mêmes erreurs et ont les mêmes difficultés.
Conclusion : La concept de dyslexie n’a pas de cohérence diagnostique.
Tous les médecins se réfèrent à des «déficits de performance spécifiques» ou à des faiblesses fonctionnelles dans le domaine cognitif, comme des troubles de perception visuelle, de coordination visuomotrice et de discrimination auditive.
Objection: l’hypothèse selon laquelle des déficits de performance fonctionnels ou spécifiques contribuent de manière significative à la dyslexie a été empiriquement réfutée (Valtin 2001). Parmi les dyslexiques, il n’y a qu’un très faible pourcentage d’enfants qui ont vraiment ces déficits (Valtin, 1981; Klicpera & Gasteiger-Klicpera 1993). Par contre, il y a beaucoup d’enfants présentant «ces déficits spécifiques» qui n’ont pas de problèmes de lecture (Schenk-Danziger, 1991). Dès lors, le manque de succès thérapeutique des programmes dans le domaine visuel ou visuomoteur n’a rien d’étonnant (Scheerer-Neumann, 1979). Cela s’applique aussi à l’entrainement auditif avec l’aide de Brain-boy proposé par Warnke (Klicpera & Gasteiger-Klicpera 1996).
Conclusion : Le concept de dyslexie est scientifiquement indéfendable.
Objection: Les études empiriques montrent que les dyslexiques n’ont pas besoin de mesures thérapeutiques différentes de celles dont ont besoin les enfants FLO.
Le succès thérapeutique ne dépend pas de l’intelligence des enfants (e.a. Weber, Marx & Schneider 2001). Ce résultat vient en faveur des recommandations de la Conférence permanente qui, en 1978, a conseillé de fournir un soutien à tous les enfants ayant des difficultés de lecture et d’orthographe, quel que soit leur niveau d’intelligence.
Conclusion : le concept de dyslexie n’est pas thérapeutiquement utile.
Objection : les expériences des instituts parascolaires pratiquant des méthodes intégratives d’apprentissage (FIT, Francfort) et des soutiens langagiers adaptés (OLFA, Munster), ainsi qu’une étude longitudinale récente (Hofmann & Sasse, 2006) montrent que les prétendus dyslexiques peuvent être aidés avec succès.
Conclusion : les «dyslexiques» peuvent progresser s’ils reçoivent un soutien adéquat.
Les concepts de dyslexie et de déficits spécifiques, élaborés par le corps médical, peuvent s’avérer nocifs de plusieurs manières :
Dans une étude réalisée par Naegele & Valtin (2001), des élèves FLO de Bavière et de Hessen ont été interrogés sur la façon dont ils expliquent leurs problèmes d’apprentissage. Les réponses des enfants bavarois ont été les suivantes: «la dyslexie vient de Dieu, du Seigneur, du blocage de mon cerveau», etc. Si la personne a attribué sa défaillance à Dieu, à la nature ou à ses parents (par héritage), alors cela lui procure certainement un soulagement au regard de sa culpabilité individuelle. Mais ce soulagement est chèrement payé par les effets secondaires possibles sur le plan psychologique. La référence à Dieu laisse à penser qu’il s’agit d’une fatalité, la référence aux parents peut déboucher sur un comportement agressif. Même des déclarations comme «j’ai des champignons dans le cerveau» ou «mes parents ont eu une mauvaise relation sexuelle» sont des expressions de peur, d’incertitude et d’impuissance. Chez certains enfants, nous avons constaté une attitude fataliste ou résignée d’ «éternel dyslexique». - «On apprend à vivre avec, un crétin est un crétin». – «On ne peut rien faire. Ou ça partira tout seul ou ça restera pour toujours.» Globalement, les parents sont le plus souvent désignés comme les responsables. On peut aisément deviner les résultats déplorables sur les relations familiales et les problèmes qui s’ensuivent !
Pourquoi le modèle des déficits spécifiques et le concept classique de dyslexie sont-ils encore si populaires ? Réponse possible : ce concept permet de prétendre qu’on apporte de l’aide aux personnes en difficulté ; mais en cas d’échec, personne n’est à blâmer et personne n’est responsable.
Parmi les enfants FLO, il y a beaucoup d’élèves lents qui trouvent qu’il est particulièrement difficile de surmonter les obstacles rencontrés lors de l’apprentissage du langage écrit. C’est pourquoi ils ont besoin, dans leur école, de plus de temps pour apprendre et surtout d’enseignants bien formés qui assurer un apprentissage adapté, en utilisant des méthodes d’enseignement de la lecture qui soient logiques et valides et en apportant une aide ciblée dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Une bonne politique d’éducation qui fournit un financement suffisant et équitable est une condition préalable importante pour aider les enfants dans leur apprentissage de la lecture et de l’écriture.Un diagnostic spécial devrait porter sur les questions suivantes :
Pour atteindre l’objectif fixé par la Conférence permanente de 1978 («L’enseignement de la lecture et de l’écriture constitue l’une des tâches principales de l’école primaire, et il nécessite un travail pédagogique auprès de ceux qui ne parviennent pas à atteindre les exigences de base»), diverses conditions préalables sont nécessaires. PIRLS a montré clairement que l’Allemagne, en comparaison avec ses voisins européens, n’obtient pas de bons résultats. Nous avons besoin:
Büchner, B., Kortländer, (2009), Legasthenie – eine Krankheit, eine Behinderung, eine Störung?
http://www.legakids.net/fileadmin/user_upload/Downloads/Info/Wissenschaft/Krankheit_Artikel.pdf
Bühler-Niederberger, D. (1991). Legasthenie. Geschichte und Folgen einer Pathologisierung. Opladen.
Klicpera, C., Gasteiger-Klicpera, G. (1993), Lesen und Schreiben - Entwicklung und Schwierigkeiten. Bern.
Klicpera, C., Gasteiger-Klicpera, G. (1996), Auswirkungen einer Schulung des zentralen Hörvermögens nach edu-kinesiologischen Konzepten auf Kinder mit Lese- und Rechtschreibschwierigkeiten. Heilpädagogische Forschung, 22, 57-64.
Klicpera, C., Gasteiger-Klicpera, G.(2001), Anforderungen an die schulische Förderung von SchülerInnen mit LRS - Erfahrungen aus Österreich. In: Naegele, I. M./Valtin, R. (2001), 170-178.
Löffler, I./Meyer-Schepers, U./Naegele, I. M.: Überlegungen zur Qualitätssicherung in der kombinierten Lern- und Psychotherapie. In: Naegele, I. M./Valtin, R. (2001), 186-193.
Naegele, I. M., Valtin, R. (éds.) (2003), LRS – Legasthenie - in den Klassen 1 - 10. Handbuch der Lese-Rechtschreib-Schwierigkeiten. Bd. 1: Grundlagen und Grundsätze der Lese-Rechtschreib-Förderung. Weinheim. 6. Auflage.
Naegele, I. M., Valtin, R. (éds) (2001), LRS – Legasthenie in den Klassen 1 - 10. Handbuch der Lese-Rechtschreib-Schwierigkeiten. Band 2: Schulische Förderung und außerschulische Therapien, Weinheim, 2. Auflage.
Scheerer-Neumann, G. (1979), Intervention bei Lese-Rechtschreibschwäche. Bochum.
Scheerer-Neumann, G. (2003): LRS und Legasthenie: Rückblick und Bestandsaufnahme. In: I. Naegele, & R. Valtin (2003), 32-41.
Schenk-Danziger, L. (1991), Legasthenie - Zerebral-funktionelle Interpretation. Diagnose und Therapie. München.
Suchodoletz, W. von (éd.) (2003), Therapie der Lese-Rechtschreib-Störung. Traditionelle und alternative Behandlungsmethoden im Überblick. Stuttgart: Kohlhammer
Valtin, R. (1981), Zur «Machbarkeit» der Ergebnisse der Legasthenieforschung. In: R. Valtin, U. Jung & G. Scheerer-Neumann, Legasthenie in Wissenschaft und Unterricht. Darmstadt.
Valtin, R. (2000). Die Theorie der kognitiven Klarheit – Das neue Verständnis von Lese-Rechtschreib-Schwierigkeiten. In: B. Ganser (éd.): Lese-Rechtschreib-Schwierigkeiten – Diagnose – Förderung – Materialien. Donauwörth, 16-42.
Valtin, R. (2001), Von der klassischen Legasthenie zu LRS - notwendige Klarstellungen. In: Naegele, I. M./Valtin, R. (2001) 16-35.
Valtin, R. (2002), Was ist ein gutes Zeugnis? Noten und verbale Beurteilungen auf dem Prüfstand. Weinheim: Juventa 2.
Valtin, R. (2009), Zehn Rechte der Kinder auf Lesen und Schreiben. Wie gut werden sie in Deutschland verwirklicht?, in: B. Hofmann, R. Valtin (éds.): Projekte, Positionen, Perspektiven - Die DGLS wird 40. Beiträge der Deutschen Gesellschaft für lesen und Schreiben, Berlin 2009. également en ligne : http://www.legakids.net/fileadmin/user_upload/Downloads/Info/Wissenschaft/kinderrechte_valtin_mai2009.pdf
Valtin, R., Badel, I. Löffler, I., Meyer-Schepers, U. Voss, A. (2003), Orthographische Kompetenzen von Schülerinnen und Schülern der vierten Klasse. In: Bos u. a. (2003) 227 – 264.
Weber, J.-M., Marx, P., Schneider, W. (2001), Legastheniker und allgemein lese-rechtschreibschwache Kinder. Ein Vergleich bezüglich Verursachungsfaktoren und Therapierbarkeit. In: Fölling-Albers, M. u. a. (éd.): Jahrbuch Grundschule III, Frankfurt/a. 188-191.
Ces 3, 4 et 5 février derniers, s’est déroulé à Paris, au siège de l’Unesco, le premier Forum mondial sur la dyslexie, sous la houlette de l’association «Dyslexia international»
La “ méthode naturelle ” de Célestin Freinet parie sur le souhait de l’apprenant de s’approprier la langue écrite comme un moyen enrichissant d’expression et de communication. Une telle approche convient parfaitement aux adultes qui éprouvent régulièrement le besoin de communiquer et le désir, progressivement, de s’exprimer par écrit.
NNLE, cette dénomination fait référence à Célestin Freinet. Lui-même disait : “ Ce qui la caractérise, c’est une pédagogie de compagnonnage ”. En effet, elle s’appuie sur des notions humanistes telles que la solidarité, la coopération, le respect de l’autre. L’expérience partagée constitue le groupe. Guidé par le formateur, l’apprenant est placé en situation de chercheur face à l’écrit. La démarche proposée prend en compte l’histoire personnelle, le vécu, l’affectif, les intérêts, donc la culture de l’apprenant. Partant de l’expression de son vécu et de ses intérêts, transcrits par écrit, il devient alors détective face à la langue écrite. Il met ainsi en œuvre en interaction avec ses pairs, une démarche scientifique systématisée qui consiste à comparer, repérer, extraire, analyser, déduire à partir de son observation réfléchie sur des écrits divers. Cette démarche méthodique permet d’élaborer chez l’apprenant un savoir-faire transférable dans d’autres domaines d’apprentissage. La Méthode Naturelle de Lecture Ecriture est basée sur une démarche interactive entre des situations de réception et de production qui s’enrichissent mutuellement. En MNLE, écrire et lire sont indissociables.
La MNLE a deux spécificités : la première part de la parole. Les apprenants s’expriment à partir de leur vécu personnel. Leurs
écrits sont produits au début, en dictée à l’adulte, et mis en forme avec la participation du groupe. Ces textes vont devenir la base de données et la mémoire de tous et vont servir de support à la démarche d’apprentissage. Celle-ci s’appuie sur le sens, à l’oral d’abord. Ces textes dont le sens est connu sont une source de références. Ils constituent un lieu de recherche de modèles pour lire et écrire d’autres textes, et c’est ce qui rend possible la seconde spécificité de la MNLE : la production d’écrit dès le départ.
Pour restaurer l’estime de soi. Commencer à oser s’exprimer permet d’amorcer la restauration de l’estime de soi sans laquelle on ne peut entreprendre aucun apprentissage. En effet, sentir que l’on a mot à dire, c’est exister, c’est attribuer une valeur à des événements de sa vie personnelle. Pouvoir les communiquer, être écouté, c’est se sentir digne d’intérêt, c’est un essai réussi qui va permettre à l’apprenant d’entrer plus confiant dans d’autres propositions.
L’énonciation initiale va être travaillée en respectant sa tonalité affective. Elle sera modifiée, si besoin, au niveau des structures de phrases et du vocabulaire, toujours avec l’accord de l’auteur qui, au cours des échanges sur ce texte, a pu s’approprier des propositions de reformulation. Les apprenants qui participent dès le début de l’apprentissage à ce travail se vivent comme auteurs, producteurs de sens. Ils comprennent que derrière tout écrit, il y a quelque part un homme, une femme qui a quelque chose à nous dire. Il est alors plus évident pour eux que lire, c’est chercher ce qu’a voulu dire l’auteur.
Ces textes, chargés de sens qui importe aux apprenants, sont des réserves d’expressions, de mots intégrés à leur vécu, mots qu’ils pourront réutiliser pour lire ou pour écrire d’autres textes.
Pour cela, chacun a besoin d’une méthode de recherche. Cela implique de la part du formateur, au moins deux choses :
Le formateur organise la présentation des textes références de manière à faciliter les recherches. Pour faciliter le repérage dans l’espace du texte, il est segmenté.
Exemple de texte segmenté :
La télévision, c’est un grand loisir,
ça nous informe
mais,
il y a trop de violence,
il y a trop de “ pub ”.
Nous aimons
les films qui racontent
une belle histoire.
Nous aimons
les reportages,
le cirque.
Chaque ligne porte un groupe de mots, une unité de sens ou un syntagme (“ une molécule de sens ”, comme dit Ouzoulias, 2004). Ce sont les groupes de mots qui permettent de se représenter l’information, de se construire une image mentale et ainsi de garder le sens en mémoire.
Le formateur entraîne l’apprenant à la technique d’exploration des textes, ce qui nécessite une mémorisation auditive préalable pour une mise en relation avec un repérage visuo-spatial dans l’espace écrit.
D’abord :
Ce savoir-faire de départ est la clé de son pouvoir d’autonomie de recherche. C’est ce que j’appelle « sa boîte à outils de départ, pour travailler à partir des textes ». Il permet à l’apprenant de mémoriser les textes en associant intimement ce qu’il dit et ce qu’il montre. Il est urgent que l’apprenant soit assez rapidement capable de l’appliquer avec aisance car c’est ce qui lui donne le moyen de retrouver toute partie de sens de ce texte. C’est à ce prix que les textes deviennent une source de modèles, une sorte de dictionnaire. Ces techniques, outils, supports pédagogiques qui, dès le début, vont permettre de mettre en place ces habiletés, constituent autant d’étayages pertinents et indispensables par la suite.
Ensuite :
C’est alors que la MNLE introduit les textes à découvrir.
Ce sont des écrits ayant des fonctions différentes et donc des supports différents : extraits de journaux, affiches contes, correspondance, bulles de bande dessinée, etc.
Un texte à découvrir constitue une réelle situation de lecture. Chacun fait part de ce qu’il trouve. Ce travail de découverte est indispensable. C’est là que l’apprenant questionne l’écrit, qu’il prend en compte tous les indices de sens non linguistiques (illustrations supports, forme, typographie). Cette recherche dynamise le groupe. Les apprenants qui ont reconnu des mots d’emblée, les annoncent, les montrent. Ils justifient leurs observations en précisant dans quels textes ils se trouvent. Cela donne lieu à une relecture rapide avec un objectif précis. Ces mots identifiés sont des parcelles de sens qui déclenchent la formulation de diverses hypothèses, dans le groupe. Quand un écrit-découverte a été travaillé, que le sens a été compris, il entre dans le recueil de chaque apprenant et grossit le nombre de références disponibles.
A ce stade de la démarche, le travail a porté sur quatre ou cinq textes. Il est possible de mettre en œuvre la production d’écrit.
En écrivant l’apprenant prend la place de l’émetteur, il a tous les problèmes à résoudre. Pour commencer il a donc besoin :
A cette occasion, lire, écrire et relire deviennent des activités indissociables et menées en interaction. L’écriture organise la pensée, l’apprenant doit faire effort pour formuler son message dans le but d’être compris. Au cours de cette activité qui se répète pour toute recherche, il prend de nombreux repères qui lui permettent de pointer tel ou tel mot des textes de façon de plus en plus rapide et sûre. Il développe la reconnaissance de mots retrouvés à plusieurs reprises. L’écriture répétée ancre en mémoire kinesthésique et visuelle la forme orthographiée.
Tous ces savoir-faire lui procurent le pouvoir-écrire en devenant de plus en plus autonome. Ecrire est l’activité qui engage, qui mobilise le plus l’attention de l’apprenant. Ecrire accélère la conceptualisation de ce qu’est un mot, ancre en mémoire la forme visuelle orthographiée, d’autant plus fortement que ce mot est affectivement important pour lui. “ L’écriture permet la compréhension progressive du fonctionnement de l’écrit, l’acquisition des notions: textes, phrases, mots. La conceptualisation de l’écrit s’acquiert par la pratique. Toutes situations d’écriture provoquent des nécessités de relecture, entrer dans les textes avec un projet de recherche favorise la mémoire visuelle et auditive intériorisée: sens, mot, recherche. La mémoire de travail est très importante dans l’acquisition de la lecture. ” (Patricia Renard)
Les activités cognitives mobilisées par le processus d’écriture et d’expression le sont dans un contexte de communication social et culturel, donc de sens.
Produire de l’écrit, c’est produire du sens. Nous lisons en grande partie par reconnaissance de mots orthographiés. Brissiaud (2006) rappelle que “ pour de nombreux psychologues, l’orthographe n’est pas seulement importante pour écrire, elle l’est également et même surtout pour lire ”. Il précise qu’ils utilisent d’ailleurs l’adjectif “ orthographique ” pour qualifier la lecture de l’expert, “ il ne leur sert pas seulement à en qualifier l’écriture. ” C’est parce que l’apprenant est l’auteur, parce que sa priorité est la signification de son message, qu’il est motivé pour fournir l’effort de localisation, de reproduction écrite du mot et qu’ainsi, signification et image écrite se lient dans sa mémoire. Ce qu’il écrit, c’est toujours du sens.
C’est dès le début de la production d’écrit que l’enseignant doit faire comprendre à l’apprenant, que ce qu’il cherche dans les textes références, c’est un mot qui exprime une signification qui convient dans le contexte de sens de l’histoire qu’il veut écrire. Les mots sont alors prélevés dans un capital de mots orthographiés en fonction de leur contexte sémantique. Il n’y a pas d’écriture phonétique. Nous amorçons le doute orthographique qui incite le scripteur à chercher le mot dans ses outils références lorsqu’il n’est pas encore sûr de savoir l’écrire.
L’écriture du mot est liée à la signification qu’il exprime, l’orthographe est un indicateur de sens. Ainsi quand l’apprenant veut écrire “ qu’il sait nager dans la [mer] ”, il ira chercher la “ mer ” dans le texte référence qui contient “ les vacances à la mer ” et pas dans “ ma mère ” ou dans “ monsieur le maire ”.
Il découvre qu’ici trois mots à l’orthographe différente ont la même forme sonore, mais un seul convient à la signification qu’il veut exprimer dans son écrit. En prendre conscience dès le début de l’apprentissage installe le doute orthographique. Bien avant de maîtriser la combinatoire, l’apprenant sait que l’écriture d’un mot ne s’invente pas. En effet, on “ écrit du sens et non du bruit ”. Pour les homophones lexicaux, leur situation dans un contexte de sens permet de les retrouver à coup sûr. Mais pour les homophones grammaticaux, c’est moins évident.
Ainsi, pour écrire “ ma petite sœur ”, le premier mot à rechercher est “ ma ”. Si dans les textes, il y a “ ma belle voiture ”, “ ma maison ”, “ le chien m’a mordu ”, cela provoque observation et réflexion. Le sens possessif de l’écriture “ ma ” sera perçu, verbalisé, cela veut dire “ c’est la mienne ”. Pour les homophones grammaticaux, c’est par la comparaison de plusieurs exemples que la similitude de fonction et donc d’orthographe peut émerger. Pour cet exemple, on aurait pu aussi rencontrer “ le mât ” dans un texte de bateau et l’apprenant aurait tout de suite compris qu’il ne convenait pas. Dans ces conditions, le souci du sens exige de prendre en compte, dès le départ à la fois l’orthographe lexicale et l’orthographe grammaticale.
Au cours de cette activité qui se répète pour toute recherche, l’apprenant prend de nombreux repères qui lui permettent de pointer tel ou tel mot dans des textes de façon de plus en plus rapide et sûre. Ce savoir-faire lui procure le pouvoir - écrire en devenant de plus en plus autonome.
Quand le mot est localisé, l’apprenant doit le copier rigoureusement. La lenteur de son geste l’oblige à porter de nombreux regards sur ce mot et à vérifier l’ordre de la succession des lettres. Il est très actif, c’est lui qui a choisi ce mot pour son histoire. Il est directement impliqué (mémoire sémantique et kinesthésique). Ce travail contribue de façon évidente à la reconnaissance du mot et donc à son identification dans un autre écrit. L’apprenant mémorise un petit répertoire de mots familiers qu’il reconnaît en saisie directe : mots qu’il met en stock en mémoire à long terme, directement sous leur forme orthographique.
Dès le départ, les savoir-faire et connaissances des apprenants peuvent être très différents. Produire de l’écrit est l’activité la plus individualisante. Quand il écrit, l’apprenant organise la succession des mots pour produire sa phrase. Ecrire souvent favorise la segmentation en mots. Certains mots cherchés, utilisés fréquemment pour lire, pour produire de nouvelles histoires se chargent en mémoire à long terme.
Produire de l’écrit, c’est l’accélérateur permanent de la découverte du fonctionnement du code. C’est la fréquence de l’écriture qui va permettre à chacun de progresser dans tous les domaines: expression de sa pensée, construction de phrases, conceptualisation de ce qu’est un mot, une syllabe, mémoire orthographique, correspondances graphophonologiques.
Chaque apprenant repère particulièrement certains mots, c’est fonction de ses intérêts, de son affectivité. Ces mots, il les réutilise volontiers, il les reconnaît d’emblée en saisie directe. Ce sont les premiers qu’il sait écrire de mémoire. L’ensemble de ces mots qui se stockent en mémoire à long terme constitue pour l’apprenant un petit répertoire embryonnaire ou dictionnaire mental.
“ C’est comme ”, maitre mot de la MNLE. Les premières analyses qui mettent en évidence le code naissent de la comparaison directe avec le mot en mémoire. Ainsi pour identifier le mot inconnu “ merci ”, l’apprenant repère instantanément “ mer ” si ce mot fait partie de ses mots en mémoire. Il n’a pas besoin de chercher dans les références, la comparaison est directe.
Ce qui se passe là est fondamental. C’est bien plus que la découverte d’une syllabe, c’est une méthode d’analyse ; les mots sont non seulement une signification, mais aussi objet d’analyse. Reprendre avec l’apprenant le déroulement de cette situation aboutit à formuler : “ je vois pareil et j’entends pareil ”. La relecture des textes avec l’objectif d’observer les mots en vue de reproduire cette démarche d’analyse, la consolide.
L’apprenant découvre un parallèle entre prononcer la même syllabe et voir la même suite de lettres. Ces premières analyses sont une motivation pour comparer les mots du point de vue du code. Le formateur va activer la recherche d’analogies dans les mots des textes références. A partir des premières analyses, le va-et-vient entre code et sens est constant.
Comparer est la méthode d’analyse qui conduit à la construction du système grapho-phonologique et à la compréhension de la combinatoire par l’extraction du pareil “c’est comme ”. La construction du principe de fonctionnement du code (de façon de plus en plus fine), de la syllabe aux graphophonologiques, s’élabore à travers des activités de classement et de catégorisation des mots issus des textes références, en fonction de leurs unités semblables.
La MNLE est une démarche d’apprentissage qui est qualifiée de Méthode ECRIRE/LIRE.
Brissiaud, R. (2006). L’erreur orthographique, l’apprentissage implicite et la question des méthodes en lecture-écriture. Cahiers pédagogiques, 440, 1-20.
Ouzoulias A. (2004). Favoriser la réussite en lecture: les MACLE. Paris: Retz.
Renard, P. (2007). Gestion du temps d’enseignement de l’écrit à différentes échelles temporelles, dans quatre CP de ZEP. Repères, 36, 37-58.
L’initiation à l’intertextualité dans les albums de jeunesse permet de réconcilier les futurs enseignants avec la lecture… tout en leur permettant d’expérimenter les usages qu’on peut en faire dans les classes primaires.
Les étudiants qui entament leurs études d’instituteur primaire dans les Départements pédagogiques de nos Hautes Ecoles belges forment un groupe très hétérogène : leurs motivations sont fort variables et ils sont loin d’être tous conscients des enjeux de l’enseignement fondamental, notamment des enjeux de l’apprentissage de la lecture. Bien sûr, entre la première et la deuxième année d’études, une sélection s’opérera, mais rien ne permet de dire que celle-ci sera favorable aux bons lecteurs. En effet, on peut être un bon étudiant et un petit lecteur (Baudelot & al., 1999). Or, nous savons depuis longtemps que, parmi les facteurs qui font d’un enseignant un bon enseignant en lecture, il y a celui d’être lui-même un modèle de lecteur :
Pour pouvoir transmettre aux élèves le goût de la lecture, il est essentiel que vous leur démontriez la place que la lecture occupe dans votre propre vie […] Souvenez-vous qu’une classe ne sera jamais plus motivée à lire que ne l’est son enseignant» (Giasson, 2004 : 42).
Encore faudrait-il s’entendre sur ce qu’est un bon ou un grand lecteur, sur ce qu’est une bonne lecture.
Deux sens demeurent aujourd’hui: d’une part celui d’une technique, indépendante de la signification du texte sur lequel elle s’exerce ; d’autre part celui de la découverte et de l’interprétation d’un contenu (Fijalkow & Fijalkow, 2003 : 5).
Cette définition de Jacques et Eliane Fijalkow nous rappelle qu’une lecture qui fait sens est une lecture qui dépasse le déchiffrage pour comprendre et interpréter le sens du texte ou pour le dire autrement : une bonne lecture est celle où le défrichage prendra le pas sur le déchiffrage (Tauveron, 2002 : 17).Or, si les étudiants dont nous avons la charge sont indiscutablement de bons déchiffreurs du code, ils ne sont pas toujours de bons interprètes et encore moins de grands lecteurs. Cette réalité dépasse largement les murs de notre institution : la lecture de livres occupe aujourd’hui une place modeste dans la vie des adolescents et des jeunes gens. On pourrait simplement espérer que ceux qui se destinent à l’enseignement échappent aux statistiques. Il n’en est rien. Ce constat induit un double défi :
La réponse que nous proposons de développer s’articule en deux propositions :
Avant de décrire nos pratiques de classe, une mise au point terminologique s’impose sur la notion d’intertextualité dans la littérature de jeunesse.
Le terme d’intertextualité désigne dans son sens le plus restreint la présence d’un texte dans un autre texte par citation, évocation (Tauveron, 2002 : 59). Ce sens permet de différencier l’intertextualité de l’hypertextualité qui désigne une relation de dérivation entre un texte et un autre texte (Ibid.), ce qu’on pourrait donc appeler la reformulation d’un texte source par le pastiche, la parodie… Dans un souci de simplification, nous utiliserons le terme d’intertextualité au sens le plus large, à savoir tout phénomène de mise en relation entre deux ou plusieurs textes (Ibid.: 58), le fait qu’un texte fasse lui-même écho à d’autres textes.
Dans les albums de jeunesse que nous choisissons de soumettre à la lecture de nos étudiants se trouvent donc des albums où un auteur cite simplement d’autres textes (Roméo et Juliette de Mario Ramos, 1999) et d’autres où l’intention parodique est évidente et entraine une réécriture du conte d’origine (Les Trois petites cochonnes de F. Stehr, 1999).
Vu leur méconnaissance de la littérature de jeunesse contemporaine, nous sensibilisons d’abord nos étudiants à la morale implicite présente dans ces récits apparemment faciles d’accès. Il nous semble important de sensibiliser nos futurs instituteurs au fait que cette littérature pour petits véhicule des valeurs et que «la plupart des récits de fiction invitent à penser sans porter à croire et que c’est pour cette raison même qu’ils jouent un rôle indispensable dans l’éducation» (Dumortier & Dispy, 2006 : 58).
Nous analysons ensemble, dans le texte même, les ruses narratives utilisées par l’auteur pour défendre sa morale et nous relevons la présence d’intertextualité en vérifiant si elle sert l’idéologie présente ou si elle n’est qu’un simple effet parodique recherché par l’auteur. Parmi les œuvres retenues pour cette première approche, il y a le récit de Frédéric STEHR, Les Trois petites cochonnes (1999).
Dans le récit de Stehr, la maman des trois petites cochonnes envoie ses filles chercher le meilleur mari possible. La morale implicite et l’intertextualité sont intimement liées car les deux cochonnes qui seront mangées sont celles qui utiliseront l’argent reçu de leur mère pour se construire une belle maison de brique ou de bois. Elles seront séduites, trompées par l’apparente richesse du loup déguisé en cochon. La troisième petite cochonne, l’héroïne du conte, sera celle qui a construit modestement une maison en paille, maison dans laquelle elle piègera le loup pour le ligoter. Grâce à son exploit, un nombre impressionnant de meilleurs maris possibles s’offrira à elle.…
Au cours de cette analyse, nous procédons avec nos étudiants comme nous souhaitons qu’ils procèdent avec les petits du primaire : nous faisons des hypothèses de lecture sur la première de couverture, nous pratiquons une lecture par étapes. Chaque arrêt nous permet de vérifier nos hypothèses de lecture, de revoir notre compréhension du texte ; nous comparons l’hypotexte à l’hypertexte à l’aide de tableaux comparatifs et nous constatons ainsi que l’intertextualité est bien plus qu’un clin d’œil culturel de l’auteur, bien plus que la modernisation d’un conte traditionnel. La morale des Trois petites cochonnes n’a rien à voir avec celle des Trois petits cochons. Il ne s’agit plus de faire l’apologie du travail au détriment du jeu dans le chef de F. Stehr mais bien de mettre en garde contre les sirènes du confort et de la superficialité.
Cette première approche est approfondie par la présentation des travaux de Tauveron (2002). Cette didacticienne française défend, entre autres, deux principes:
Tauveron pense, en effet, que l’objectif du premier degré du primaire n’est pas d’apprendre à comprendre littéralement pour laisser aux classes suivantes le soin de travailler le sens et que les connaissances culturelles doivent s’acquérir dès l’entrée en lecture pour pouvoir appréhender le répertoire littéraire.
Pour ce faire, elle propose une mise en réseau autour d’un genre littéraire (le conte) ou d’une figure stéréotypée (l’avare) ou d’un auteur (Geoffrey de Pennart) : la classe sort du texte lu (le texte découverte ou texte noyau) pour aller vers d’autres (d’où l’expression réseau de textes) qui, sous une forme ou une autre, mettront en scène les mêmes caractéristiques littéraires, le même comportement stéréotypé.
Ce travail ne peut se faire qu’avec des textes narratifs exigeants que Tauveron appelle textes résistants c’est-à-dire réticents à livrer du sens, appelant une lecture inférentielle, et proliférants, c’est-à-dire des textes d’une grande richesse, susceptibles de multiples interprétations, faisant appel à des connaissances littéraires et linguistiques.
Le dispositif de la mise en réseau est bien évidemment idéal pour découvrir un album dans lequel les références culturelles abondent et prolifèrent. Pour initier nos étudiants à ce dispositif, nous les plaçons en situation réelle : nous partons à la découverte d’un texte noyau, un ouvrage de la littérature de jeunesse et nous arrêtons la lecture chaque fois que des références culturelles nous obligent à réinterpréter le sens du texte. Les confrontations de sens et interprétations diverses se font grâce à l’interaction de toute la classe.
L’album de Geoffrey de Pennart, Je suis revenu ! (2001), est un bel exemple de livre proliférant que nous découvrons par la mise en réseau. Dans ce récit, le loup fait son grand retour dans «la» région et part à la recherche de tous les animaux qu’il a l’habitude de persécuter dans les récits traditionnels: les trois petits cochons, la chèvre et ses sept chevreaux, l’agneau, le petit Pierre de Pierre et le loup, le petit Chaperon Rouge. Ce récit proliférant donne lieu à une mise en réseau au cours de laquelle nous retournons vers les textes précités et nous nous attardons plus précisément sur les fables de La Fontaine par une relecture du Loup et l’Agneau et du Chêne et le Roseau. En effet, les propos du loup y font clairement référence: «ma foi, je suis déçu, j’espérais bien que l’agneau serait toujours là en train de rêvasser …pas de gigot, rien que des chênes et des roseaux.»
Par ailleurs, l’illustration de la double page dans laquelle le loup tient ses propos montre que Geoffrey de Pennart s’est inspiré des premières lignes de la fable Le loup et l’Agneau de La Fontaine pour planter son décor : «un agneau se désaltérait dans le courant d’une onde pure, un loup survint à jeun qui cherchait aventure et que la faim en ces lieux attirait…» (La Fontaine, 2007 : 44)
On le voit, l’intertexualité est à la fois textuelle et picturale. Passer à côté, c’est ramener le récit à un personnage, le loup, et ses rendez-vous manqués. Car si le loup ne trouve pas ces animaux, c’est précisément parce qu’ils ont décidé de se réunir tous chez monsieur Lapin pour s’unir contre lui et pour lui dire que désormais, ils n’ont plus peur du loup. La connivence culturelle que Geoffrey de Pennart installe donc avec nous, lecteurs, n’est pas gratuite: elle sert la morale de son histoire.
Par ailleurs, tout au long de l’année, nous confrontons nos étudiants à des récits proliférants par de nombreuses lectures. Cette confrontation peut prendre des formes très diverses : en novembre 2008, après avoir lu avec nos étudiants Petit Lapin rouge de Rascal, nous les avons emmenés dans une classe d’un premier degré où l’institutrice, Ekram El Boubsi, une de nos anciennes étudiantes, a pratiqué une mise en réseau autour de l’œuvre de Rascal. Cet auteur, qui manie à souhait l’humour noir, aime plonger son lecteur dans la plus grande perplexité quant à l’issue heureuse ou malheureuse de ses dénouements. Le jour de notre visite d’observation, les élèves lisaient Poussin Noir. Nos étudiants ont ainsi pu constater la capacité d’anticipation des jeunes lecteurs sur l’issue du récit de Rascal grâce à l’analogie avec d’autres œuvres du même auteur. Ils ont eu ainsi la démonstration de la pertinence d’un tel dispositif même avec des apprentis lecteurs.
Objectifs de la mise en réseau
L’objectif de ces mises en réseau n’est pas de relever toutes les allusions littéraires mais bien de montrer tout l’intérêt d’atteindre avec les enfants cette deuxième couche de sens, plus profonde, plus riche, moins lisse parce que source d’interprétations différentes et donc d’appropriations différentes. Dégager le sens inférentiel qui se cache sous cette intertextualité, c’est développer une stratégie fine de lecture, c’est placer les étudiants, et les enfants dont ils auront la charge, dans une posture de chercheur d’indices, indices qui conduisent vers d’autres récits plus exigeants mais dont la lecture est amenée en douceur, avec plaisir, de manière active. C’est aussi sensibiliser nos élèves aux intentions artistiques d’un auteur, aux aspects littéraires de cette littérature de jeunesse et donc les amener progressivement à être des professeurs de littérature, posture que l’on réserve, à tort, pour les enseignants du secondaire.
Appropriation de l’intertextualité par l’écrit
La dernière étape est celle où nous demandons à nos élèves, dans le cadre du cours de maitrise de la langue, de produire à leur tour un récit pour enfants dans lequel ils défendront des valeurs, de manière implicite. Ils peuvent y glisser des échos à d’autres textes, mais ce n’est pas une consigne contraignante. Nous leur demandons ensuite de lire leur texte à toute la classe et de rendre transparent leur processus d’écriture, de justifier leurs choix d’auteur selon cette grille d’écriture et de relecture :
Les textes produits montrent clairement que certains étudiants se sont approprié cette intertextualité comme en témoignent notamment La véritable histoire du Chaperon Rouge de Julie et Mon prince charmant de Cynthia (mai 2009).
Dans le premier, Julie opte clairement pour une réécriture du Petit chaperon rouge. Elle met en scène une petite fille détestable, Chaperon rouge, qui se retrouve à plusieurs reprises nez à nez avec le loup. Pour sauver sa vie, elle propose au loup des proies traditionnelles et lui indique l’endroit où il pourra les cueillir : Henri le Cochon, le petit Lapin rouge, la Mère Grand. Le loup s’exécutera mais terminera son repas plantureux par la dégustation du Petit chaperon rouge qui retrouvera tous les personnages dénoncés … dans le ventre du loup ! Julie use donc de l’intertextualité avec une intention parodique parfaitement assumée lors de la présentation orale de son récit. Cette étudiante de deuxième année a d’ailleurs décidé de consacrer son mémoire de fin d’études à l’écriture parodique dans les classes du primaire.
Dans Mon prince charmant, Cynthia annonce clairement ses intentions intertextuelles dès les premières lignes de son récit : il était une fois une princesse qui vivait dans un château. Cette princesse qui rêve depuis ses huit ans du prince charmant décide, un jour, de se marier et défilent alors au château des princes plus intéressants les uns que les autres. Notre princesse place chaque fois la barre un peu plus haut et la liste des critères de choix s’allonge au fur et à mesure qu’avance le récit qui se termine ainsi : la princesse eut 88 ans. Plus aucun prince ne vint. Elle vécut seule et n’eut jamais d’enfant. Dans le récit de Cynthia, l’intertextualité est multiple : on y trouve le stéréotype de la princesse capricieuse, mais aussi les formules littéraires qui encadrent traditionnellement le conte.
La princesse eut 88 ans.
Plus aucun prince ne vint.
Elle vécut toute seule et n’eut jamais d’enfant.
(Cynthia, Mon prince charmant).
Certains étudiants choisissent de donner à leur récit ce qu’ils appellent eux-mêmes «une fin à la Rascal», du nom de cet auteur précédemment cité qui prend plaisir à manier l’humour noir et à laisser le lecteur sur sa faim quant à l’issue de ses dénouements. C’est le cas du récit de Raphaël intitulé Amitié pour l’éternité ? (mai 2009) Le point d’interrogation du titre nous indique d’emblée que le lecteur devra se tenir sur ses gardes. La fin sera, en effet, ambigüe: Félicien, le crocodile ami et protecteur de la tortue Félicité, sera-t-il sensible au propos des autres crocodiles qui lui apprennent que les tortues sont traditionnellement leurs proies favorites ?
La verbalisation par les étudiants de leur processus d’écriture indique clairement qu’ils ont choisi ces possibles narratifs en connaissance de cause. C’est parce qu’ils ont pris du plaisir à lire des récits se faisant écho, c’est parce qu’ils ont aimé la perplexité dans laquelle Rascal les plonge dans ses dénouements ouverts qu’ils tentent de provoquer le même plaisir auprès de leurs condisciples. Car, faut-il le dire, ce partage d’écriture et de lecture de récits, cet échange autour des pratiques d’écriture sont des moments de pur plaisir. Ce sont surtout des moments de connivence culturelle dans une communauté d’apprenants qui évaluent eux-mêmes tout le chemin parcouru depuis la découverte par la lecture jusqu’à l’appropriation par l’écriture.
Ce travail sur l’intertextualité permet d’atteindre plusieurs objectifs :
Cette sensibilisation ne peut se faire qu’en rendant ces étudiants acteurs de cette découverte, en les plaçant en situation réelle, c’est-à-dire en leur faisant vivre les mêmes pratiques que celles qu’on attend d’eux dans les classes du primaire : en les mettant en recherche, en leur faisant lire des textes en réseau, écrire des récits, applaudir ceux des autres… C’est ainsi, nous semble-t-il, que nous augmentons les chances d’un transfert dans les classes dont nos futurs enseignants auront la charge.
Baudelot C., Cartier M., Detrez C. (1999), Et pourtant ils lisent… Seuil.
Dumortier, J.-L., Dispy, M. (2006), Aider les jeunes élèves à comprendre et à dire qu’ils ont compris le récit de fiction. Presses universitaires de Namur.
Fijalkow, J., Fijalkow, E. (2003), La lecture. La cavalier bleu (Coll. Idées reçues).
Giasson, J. (2004), La lecture, de la théorie à la pratique. De Boeck (Coll. Outils pour enseigner).
Tauveron, C. (éd.) (2002), Lire la littérature à l’école. Hatier.
De Pennart, G.(2001), Je suis revenu ! L’École des Loisirs. Lutin poche.
La Fontaine J.(2007), Fables choisies. Livre Premier, X. Paris, Nouveaux classiques Larousse.
Ramos, M.(1999), Roméo et Juliette. L’École des Loisirs. Kilimax.
Stehr, F.(1999), Les trois petites cochonnes. L’École des Loisirs, Lutin poche
Comment l’adulte peut-il faciliter le passage du jeune enfant entre le monde enchanté des livres d’histoire de la petite enfance et celui non moins merveilleux que peut offrir l’apprentissage de l’écrit? Nous savons tous que notre responsabilité en tant qu’adulte, guide et soutien, est immense face à ce passage. Il est donc important de questionner nos pratiques pédagogiques, dans un souci de partage au regard de l’intervention en écriture.
Les enfants envisagent généralement l’entrée en première année comme un passage mystérieux et excitant, comme un moment important de leur vie. Certes, cet engouement vient de l’attitude des adultes qui les entourent, qui leur présentent, avec raison il faut en convenir, un monde merveilleux où s’ouvrent les portes du savoir. Pour plusieurs, l’engouement fait rapidement place à la désillusion, et ce, dès les premiers mois de fréquentation scolaire. L’entrée formelle dans l’écrit, notamment, s’avère pour certains non plus un défi passionnant mais un écueil qui les place face à l’échec et aux difficultés. Le travail en lecture, à la maison et à l’école, leur est souvent pénible et le climat autour des textes à lire contraste avec celui dans lequel ils baignent autour des histoires merveilleuses qui leur sont lues par leurs proches. La disparité entre ces deux «situations de lecture» est malheureuse, les débuts difficiles de l’enfant en lecture éteignant bien souvent la magie créée depuis des années autour des livres et devenant ainsi une entrave au développement du plaisir de lire.
Par ailleurs, si les difficultés en lecture s’avèrent préoccupantes, celles rencontrées en écriture ne le sont pas moins. Nombre d’élèves, si fiers au départ d’apprendre à écrire, éprouvent, dès la première année du primaire, un sentiment grandissant d’incompétence et démontrent un important manque d’intérêt et d’engagement devant toute situation de rédaction. Au-delà de l’apprentissage de la calligraphie et du nom des lettres, ces enfants se sentent dépourvus. En fait, ils prennent rapidement conscience de tout ce qu’ils ne savent pas et, dès lors, la prise de risques en écriture devient pour eux très difficile, voire, non envisageable. Devant tout ce qu’il y a à construire, l’insécurité prend place et éloigne ces élèves de la finalité même de l’acte d’écrire, soit communiquer.
Le présent article a pour souci d’examiner, en mettant l’accent sur le volet écriture, comment l’adulte peut faciliter le passage du jeune enfant entre le monde enchanté des livres d’histoire de la petite enfance et celui non moins merveilleux que peut offrir l’apprentissage de l’écrit. Nous savons tous que notre responsabilité en tant qu’adulte, guide et soutien, est immense face à ce passage. Il est donc important de questionner nos pratiques pédagogiques, dans un souci de partage au regard de l’intervention en écriture.
Traditionnellement, l’apprentissage de l’écrit est amorcé par la lecture, l’écriture venant par la suite, quand les enfants sont considérés prêts, c’est-à-dire vers le mois de janvier de la première année ou un peu plus tard dans l’année. Questionnons-nous : prêts à quoi, en fait? Prêts à raconter? Prêts à expliquer, à élaborer des idées? Il y a certes des inquiétudes face à la capacité des enfants à raconter des histoires et à donner des explications à l’écrit. Mais très souvent, ce ne sont pas ces inquiétudes qui guident le choix de mettre la lecture au premier plan lors de l’entrée dans l’écrit et d’introduire plus tardivement l’écriture de textes. En fait, notre organisation scolaire, voire nos traditions, font en sorte qu’on attend plutôt que les enfants, à travers l’apprentissage de la lecture, aient développé des connaissances formelles au regard du système d’écriture. Or, cette «mise en attente» pourrait priver l’élève de l’apport de l’interrelation entre la lecture et l’écriture qui, lors de l’entrée dans l’écrit, favorise tout particulièrement le traitement du mot écrit. En effet, l’écriture exige une analyse qui sert le développement de la lecture et pourrait donc avoir avantage à être mise à l’avant-plan dès l’entrée dans l’écrit.
Par ailleurs, le délai habituel entre l’apprentissage de la lecture et celui de l’écriture est généralement suivi d’une grande «prudence» s’exprimant par des cadres d’écriture très structurés et par des attentes peu élevées envers les enfants que l’on place ainsi dans des situations de copie de mots ou de phrases plutôt que devant l’écriture réelle de textes. Ce contexte pédagogique nait du souci, empreint de sollicitude et de bienveillance, de ne demander à l’enfant que ce qu’il peut donner, de respecter son rythme d’apprentissage. Cependant, cette situation contribue bien souvent à la mise en place d’une peur de l’erreur, et ce, dès l’entrée formelle dans l’écrit. Or, il y a réel danger que cette peur de «faire des fautes» en écriture entrave la spontanéité narrative, explicative ou autres et soit renforcée pendant des années par les copies de textes corrigées au crayon rouge. En fait, dès leurs premiers pas en écriture et tout au long du primaire et du secondaire, les enfants sont «encadrés» par des structures de textes imposées et leurs écrits sont corrigés de façon consciencieuse mais peu de soutien leur est donné et ils sont très peu guidés. Ils ont rarement l’occasion de se lancer, comme peuvent le faire les écrivains, dans la rédaction libre et spontanée d’un texte sans le spectre d’une évaluation qui leur rappelle et souligne leur manque d’habiletés, voire «leur incompétence». L’écriture de textes, loin d’être une activité quotidienne, apparait comme une occasion ponctuelle d’évaluation permettant de quantifier et/ou de qualifier les acquis plutôt que comme une réelle situation d’apprentissage.
Or, comment les élèves peuvent-ils apprendre à écrire sans écrire? Peuvent-ils apprendre à écrire avec le sentiment de ne pas être à la hauteur? Combinons ces questions à celle soulevée au départ: «Comment pouvons-nous, dès l’entrée formelle des élèves à l’école, favoriser le passage de l’oral à l’écrit et le développement en écriture»? Ces trois questions sont centrales dans le développement d’une pédagogie de l’écriture centrée sur les besoins des élèves et permettant à la fois le développement des compétences scripturales et du plaisir d’écrire. Des éléments de réponses peuvent aisément être dégagés : les attentes doivent être réalistes et les interventions appuyées sur ce que les enfants ont déjà construit. Or, la principale difficulté se situe précisément ici, c’est-à-dire dans l’ajustement des attentes en fonction des réelles capacités de l’élève qui entre à l’école. Portons donc ici un regard sur ces capacités.
Chacun sait que les connaissances des enfants de six ans par rapport à l’écrit ne sont pas à zéro. Les enfants «ne savent pas comme les adultes», ils en sont d’ailleurs généralement bien conscients, mais ils savent beaucoup de choses. Les connaissances construites sont variées, mais surtout, elles sont de diverses natures.
À leur entrée à l’école, les enfants savent généralement que l’écrit est porteur de sens, que les histoires font rêver, voyager, rire, parfois pleurer… Ils connaissent beaucoup de choses à propos de l’écrit. Écoutons Marie, quatre ans et demi, qui fait la lecture du «Roi Lion» (The Walt Disney Company, adaptation de Hover, 1994) à sa panthère Baggera et aux autres figurines d’animaux qui se trouvent devant elle:
M.: Baggera pi toutes les animaux y vont dire: «Qu’est-ce qui est écrit?»
Adulte (prenant le rôle de la panthère Baggera): Qu’est-ce qui est écrit ici Marie?
M.: Le roi lion! Comme au début ici. Le roi lion!
Adulte: C’est écrit deux fois?
M.: Oui
Adulte: OK.
M.: Attends… (et elle s’en va hors caméra)
Adulte: Où tu vas Marie?
M.: Attends, ce sera pas long (Elle revient au bout de quelques instants avec deux autres livres).
M.: Regarde. Regardez (en s’adressant à ses animaux spectateurs).
M.: (Elle montre le titre sur la page couverture d’un livre:) Ici c’est écrit «Le bruit»… (Elle tourne la page:) Ici c’est encore écrit «Le bruit».
Adulte: Ils l’écrivent toujours à l’intérieur?
M.: Oui, ils l’écrivent toujours à l’intérieur. (Elle prend un autre livre et montre le titre:) «La coccinelle»…(Elle tourne la page:) Et puis encore «La-coc-ci-nelle» (en suivant avec son doigt les mots de gauche à droite).
Adulte: Tu as bien raison. Ils l’écrivent toujours deux fois: sur la couverture et sur la page de garde.
M.: Bien oui! Vous voyez tous?: «Le roi lion» (en parlant à ses animaux et en «lisant» le titre dans la page de garde).
Comme on peut le voir dans cet extrait tiré d’un enregistrement vidéo réalisé alors qu’elle était âgée de 4 ans et demi, Marie connaIt déjà certaines conventions de l’écrit. Elle sait, par exemple, que le titre d’un livre est «toujours» écrit à deux endroits et que la lecture se fait de gauche à droite et de haut en bas. Comme nombre d’enfants de son âge, Marie est en train de développer, sans enseignement formel, des connaissances diverses sur la lecture et l’écriture, que l’on regroupe aujourd’hui sous la notion d’émergence de l’écrit. Au cours des années précédant l’entrée en première année du primaire, les enfants font en effet un ensemble de découvertes qui les préparent à l’apprentissage formel de l’écrit. Plusieurs de celles-ci sont de l’ordre des conventions culturelles telles l’orientation de l’écrit et l’organisation graphique. D’autres demandent davantage sur le plan de la conceptualisation. Ainsi, les enfants découvrent peu à peu que l’écrit est en lien avec la chaine parlée, que tous les mots sont écrits, que la transcription des mots est en lien avec l’aspect sonore de ceux-ci et donc, avec leur structure phonologique, etc.
De l’émergence de ces représentations jusqu’à l’écriture et la lecture orthographique autonome, les enfants doivent conceptualiser un système d’écriture qui repose sur l’oral et qui est génératif, c’est-à-dire qui permet de transcrire la parole à partir d’un nombre limité de symboles. Ils conceptualisent ce système à des rythmes différents, à travers une série de niveaux, que plusieurs auteurs, dont Ferreiro, ont pu identifier par l’analyse d’écritures spontanées ou émergentes.
Examinons ici, à partir de productions réalisées sans soutien, à différents âges et à l’aide de la séquence développementale dégagée par Ferreiro (Ferreiro, 2000; Ferreiro & Gomez-Palacio, 1988; Ferreiro & Teberosky, 1982), l’évolution des représentations que Marie a construites peu à peu autour de ce système d’écriture, au premier abord si mystérieux pour le jeune enfant.Notons que la première production a été réalisée dans le cadre de jeux spontanés alors que les trois suivantes (Giasson, 2003) l’ont été dans le cadre d’entrevues structurées vidéofilmées.
La production réalisée par Marie à l’âge de 4 ans illustre bien ce qui caractérise les premiers écrits du jeune enfant, soit l’absence de recherche de correspondance entre graphies et sons. Marie utilise à la fois des pseudo-lettres (écriture sous forme de vagues) et des graphies conventionnelles, les unes et les autres n’étant pas en lien avec l’aspect sonore des mots. Elle remplit les lignes sans en contrôler la quantité de graphies. Elle s’arrête au bout de la feuille et recommence à remplir une autre ligne. Elle est, d’après la séquence évolutive dégagée par Ferreiro, au niveau de conceptualisation appelé «pré-syllabique».
Dans la seconde production, on peut voir que Marie, qui a réalisé celle-ci à l’âge de 5 ans et 2 mois, a avancé dans sa conceptualisation du système d’écriture. Elle a fait un pas important, elle conçoit maintenant que l’écrit est en lien avec l’aspect sonore des mots. Elle fait cependant une analyse de type syllabique, c’est-à-dire qu’elle découpe le mot en syllabes et cherche à représenter chacune d’elles avec une lettre. Elle se donne cependant un second critère: les lettres choisies doivent «rimer avec les mots», comme elle l’explique en cours de production. Elle cherche en fait des lettres dont le nom lui-même correspond à la prononciation des syllabes qu’elle cherche à représenter. Ainsi, elle met la lettre «j» pour représenter la première syllabe du mot «girafe», écrit la lettre «h» pour la seconde syllabe et explique que «h» ça sonne comme «af». Elle poursuit avec le mot suivant. Elle écrit la lettre «i» pour représenter la première syllabe du mot «hippopotame», s’arrête et dit qu’elle ne peut écrire «po-po» parce qu’il n’y a pas de lettre qui s’appelle «po». Elle donne la même explication en ce qui concerne la dernière syllabe du mot («tam»). Le second critère relié au nom des lettres lui pose ainsi rapidement problème: elle ne trouve pas de lettre lui permettant de le respecter. Cette situation la met un peu mal à l’aise, et ce, malgré l’attitude de l’expérimentatrice qui tente de la rassurer en lui rappelant qu’il s’agit d’un jeu d’écriture. Elle met un trait d’union à côté du «i», poursuit et écrit sans hésiter la lettre «A» pour représenter le mot monosyllabique «coq». Enfin, elle demande à l’expérimentatrice comment on écrit la lette «É», en écrit deux pour représenter les deux premières syllabes du mot «éléphant» et puis s’arrête, ne trouvant pas de lettre qui s’appelle «fan».
Marie fait ensuite un commentaire étonnant qui fait comprendre qu’elle s’est donné un troisième critère: elle précise que pour chaque mot «ça en prend deux» (en parlant des lettres) mais que pour le mot «coq», elle a mis seulement la lettre «A» parce qu’elle n’en trouve qu’une (en faisant ici référence à la syllabe). Ferreiro a décrit ce critère, qui provoque des conflits cognitifs, comme étant très présent au niveau syllabique, dans cette période où l’enfant fait correspondre graphies et syllabes. Les explications données par Marie permettent, en fait, de comprendre pourquoi elle a ajouté un trait d’union au mot «hippopotame», il comporte maintenant deux «graphies», tout en laissant entrevoir qu’elle va bientôt délaisser ce critère de quantité minimale, puisqu’elle accepte que le mot « coq « puisse s’écrire avec une seule graphie.
Réalisée six mois plus tard, la troisième production, qui peut laisser croire à une écriture avec omission de lettres, montre, en fait, une formidable avancée chez Marie (5 ans et 8 mois), qui conçoit maintenant que l’écriture est constituée d’unités plus petites que la syllabe et qui a laissé tomber le critère contraignant de quantité minimale et surtout, celui relié au nom des lettres qui lui posait de réels problèmes. Elle réalise cette troisième production de façon très détendue, s’amusant de sa calligraphie irrégulière, notamment de la grosseur inégale des lettres qu’elle écrit. Marie est entrée dans le stade d’écriture que Ferreiro appelle «syllabico-alphabétique» en raison de la coexistence de deux types d’hypothèses: l’hypothèse syllabique du niveau précédent et l’hypothèse alphabétique qui permet maintenant une analyse fine des unités phonémiques. Ainsi, Marie, dans cette troisième production, donne parfois à une graphie une valeur syllabique et parfois, une valeur phonémique. Il faut cependant préciser que la lettre «e» a été ajoutée «systématiquement» à la fin des mots, hormis pour le mot «coq», Marie justifiant cet ajout non pas par une analyse sonore mais par « nécessité »: « ça prend un «e» à la fin du mot », précise-t-elle à l’expérimentatrice. Pour le mot «coq», la situation est particulière. Marie n’a tout simplement pas terminé de l’écrire, précisant qu’elle entend «autre chose» mais qu’elle ne sait pas comment l’écrire. Marie semble ici percevoir que le mot comprend d’autres phonèmes mais elle n’arrive pas à les isoler ou à les représenter.
Enfin, dans la dernière production, on peut voir que Marie, qui a maintenant 6 ans et 4 mois et qui est à quelques jours de son entrée en première année du primaire, a pris de l’expérience et qu’elle représente maintenant chacun des phonèmes. Son niveau de conceptualisation lui permet une utilisation aisée du principe alphabétique de notre système d’écriture. Elle se trouve au niveau alphabétique, le dernier niveau de la séquence développementale dégagée par Ferreiro.
Ce cheminement dans la conceptualisation du système d’écriture est essentiel au développement de la lecture et de l’écriture. Plusieurs études, certaines menées notamment auprès d’élèves vivant avec une grande surdité (Sirois & Boisclair, 2005, 2006), ont montré que les enfants ayant atteint le niveau de conceptualisation le plus avancé au regard de la compréhension du principe alphabétique ont cheminé à travers la même séquence développementale, tout en ne parvenant cependant pas aux différents niveaux de conceptualisation au même moment. L’analyse de cette séquence a, en fait, permis de voir que les enfants, à l’un ou l’autre des niveaux de développement, construisent leurs propres représentations du système d’écriture, qu’ils «écrivent» en faisant des hypothèses. Bref, ils ne savent pas écrire à la manière des adultes, c’est-à-dire avec des représentations orthographiques standard, mais ils abordent leur scolarité formelle avec des connaissances, avec leurs propres connaissances du système d’écriture.
Ces avancées essentielles dans la conceptualisation du système d’écriture réalisées par Marie et par ses pairs de même que celles de l’ordre des conventions culturelles ne doivent cependant pas occulter ou mettre au second plan d’autres connaissances et habiletés que les enfants d’âge préscolaire, en interrelation avec leur environnement familial et social et à travers de nombreuses interactions langagières, ont mis des années à développer et qui sont porteuses de la compréhension en lecture et des habiletés rédactionnelles. Écoutons le début de la « lecture » du « Roi Lion » (Hover, 1994) réalisée par Marie, qui a suivi son explication, rapportée plus haut, autour de l’écriture du titre du livre:
«Dans la savane africaine, une foule d’animaux se mit en place. La fête commence! La savane africaine est remplie d’animaux. Sur le garde de la forêt, dans la savane africaine, des gnous, des éléphants, des rhinocéros, des centaines d’animaux, même des girafes et des zèbres se mit en place. Pour… la savane africaine…La fête commence pour le fils du lion Muphasa. La savane africaine remplie d’animaux se mit à faire des bruits incroyables.»
Cette histoire qu’elle s’est fait raconter nombre de fois et dont elle a vu la version cinématographique (The Walt Disney Company) à plusieurs reprises, Marie la raconte, sans autre soutien que les images du livre, avec un style propre à l’univers littéraire. Poursuivons:
Un jour, Scar était pas venu dans la savane africaine. Il jouait intervenu à une petite souris parlant de lumière. Mais, dès qu’il fut prêt à la manger, Zazou l’interrompt. Zazou vient l’interrompre. Scar lui dit: «Va-t-en espèce de mandibule de oiseau!». Et Zazou vient de dire: «Scar, ne me regarde pas comme ça!», lorsqu’une voix apparaît très forte dans les oreilles de Scar. La voix disait: «Laisse-le Scar!». Et, c’est ce que Scar faisa. Avant de disparaître, il parla à Muphasa. Dès qu’il eut fini, il s’interrompt, et il disparaît. Et dès qu’il fut disparu, Zazou était prêt à discuter avec le roi Muphasa. Dès qu’il eut fini, il s’interra…il s’interrompt, et même, au rocher du roi Muphasa, et son fils regardaient les frontières de la… de de… que Simba n’avait (z’) aucun droit d’aller.
On peut voir, dans cet extrait, qu’à travers des formulations complexes et littéraires, dans lesquelles on retrouve plusieurs connecteurs et compléments de phrases de même que l’insertion de dialogues, se glissent quelques maladresses sur le plan de la terminaison des verbes et de la concordance des temps. On constate également une sur-utilisation de la locution conjonctive «dès que» et deux formulations fautives. L’une de celles-ci («Dès qu’il eut fini, il s’interra…il s’interrompt, et même, au rocher du roi Muphasa, et son fils regardaient les frontières de la… de de… que Simba n’avait (z’) aucun droit d’aller») est probablement due à la difficulté, pour Marie, de maintenir un style littéraire tout en s’engageant dans une explication. La seconde («Il jouait intervenu à une petite souris parlant de lumière»), qui peut être perçue comme étant asémantique, montre, en fait, comme par ailleurs l’ensemble de l’extrait, la capacité de Marie à prendre des risques sur le plan langagier, notamment quant à la formulation d’expressions figurées. Il faut convenir que les «erreurs» relevées dans l’extrait présenté sont tout à fait louables chez une enfant si jeune qui se permet de raconter en utilisant le passé simple, dans un style très littéraire, tout comme dans les livres qu’on lui raconte. Marie prend des risques, elle n’a pas peur de se tromper. Notons par ailleurs que la suite de sa «lecture», que nous ne rapporterons pas ici, a montré sa compréhension de l’ensemble du récit. Ainsi, non seulement Marie utilise-t-elle un style très littéraire dans son rappel de récit mais celui-ci montre qu’elle a construit et structuré les liens entre les différentes parties de l’histoire du «Roi Lion», entre les buts des protagonistes et les actions qui s’ensuivent. Il s’agit là, certes, d’un apprentissage des plus importants.
Le développement de la capacité, chez l’enfant du préscolaire, à inférer des relations causales et à élaborer les liens entre les différents éléments de la macrostructure d’un texte, à partir de ses connaissances sur le monde et de ses habiletés langagières, a été identifié comme un des principaux fondements de la compréhension en lecture (Boisclair, Makdissi, Sanchez Madrid, Fortier & Sirois, 2005; Graesser & Wiemer-Hastings, 1999; Kintsch, 1998; Linderholm, Everson, van den Broek, Mischinski, Crittenden & Samuels, 2000; Makdissi & Boisclair, 2005, 2006, 2008). Au cours des années précédant leur entrée à l’école, les enfants qui bénéficient notamment de lectures interactives autour de livres d’histoire construisent progressivement, en passant par différents niveaux, cette capacité qui leur permettra de comprendre ultérieurement, sans soutien, la structuration causale des récits lus seuls (Makdissi & Boisclair, 2008). Les interactions avec les adultes qui questionnent autour des nœuds causaux s’avèrent essentielles.
Marie, comme ses pairs ayant bénéficié de ce type d’interactions, entre dans l’écrit avec des habiletés relativement avancées concernant la structuration du récit. Cependant, comme c’est le cas pour la conceptualisation du système d’écriture alphabétique, chacun ne parvient pas au même niveau de conceptualisation du récit au même moment et tous n’entrent pas dans l’écrit avec les mêmes habiletés. Ces habiletés, qui serviront certes la compréhension en lecture mais également la cohérence textuelle en écriture, devront, peu importe le niveau atteint au début de l’apprentissage formel de l’écrit, continuer de se développer au contact de l’écrit.
En fait, quand les enfants entrent à l’école, ils ne savent pas «comme les adultes» mais ils savent. Ils ont développé des connaissances sur l’écrit et à propos de l’écrit et ils ont construit des représentations au regard du système d’écriture. Ils savent raconter, expliquer (Marie, quatre ans et demi : «c’est parce que i’ se tenait sur une roche… i’ se tenait sur une roche pour monter mais là les gnous l’ont attrapé avec leurs sabots, fait que là i’a pas pu monter sur le rocher à Simba»), et même, argumenter… à des niveaux différents, à leur manière, comme les tout-petits peuvent le faire mais ils savent.
Par contre, il y a des écarts. Des écarts entre les élèves sur le plan des différents développements soutenant l’apprentissage de l’écrit mais également, chez un même enfant, entre chacun de ces développements. Mettons ici en relation, par exemple, le niveau de Marie à l’âge de quatre ans et demi concernant son habileté à raconter et celui qu’elle avait atteint au même âge dans sa conceptualisation du système d’écriture. L’écart entre la capacité de Marie, à cet âge, à utiliser le code et celle de raconter est important. La seconde est manifestement plus avancée que la première. Lors de son entrée en première année, l’écart entre ces deux capacités s’était amoindri. Marie, qui voulait «apprendre à écrire», avait eu de fréquentes occasions d’écriture guidées par un adulte et avait ainsi atteint le niveau alphabétique, c’est-à-dire qu’elle représentait chacun des phonèmes à l’écrit. Cependant, nombre d’enfants, en raison d’intérêts ou de besoins différents, conservent encore, au début de l’apprentissage formel de l’écrit, des écarts importants entre les différents développements soutenant cet apprentissage.
Ces écarts, que l’on parle ici de ceux présents chez un même enfant ou de ceux, plus évidents, existant entre les enfants d’un même niveau scolaire, peuvent expliquer la difficulté, notamment dans le contexte d’un groupe-classe, de cerner les capacités réelles des enfants qui entrent dans l’écrit et d’ajuster les attentes et les interventions au juste niveau de développement de chacun. Cependant, ils ne peuvent expliquer notre hésitation à mettre les élèves en situation d’écriture de textes dès l’entrée dans l’écrit. Ils ne peuvent pas davantage expliquer le peu d’occasions que nous offrons aux élèves d’écrire, ni l’habitude que nous avons d’exiger des écritures parfaites et sans faute à chaque production réalisée. En fait, ce contexte pédagogique est plutôt engendré par notre crainte de permettre aux enfants de réaliser leurs premiers pas en écriture en titubant, voire en faisant des faux pas. Pourtant, il ne nous viendrait pas à l’idée de faire passer à un enfant, ni même à un adulte, un examen de natation ou de piano sans aucun entrainement, exercice ou pratique ni, par souci de ne pas entraver le travail, la spontanéité et la confiance en soi de l’enfant, de corriger chaque maladresse ou fausse note faite au cours de l’entrainement ou de la pratique quotidienne. Nous nous attendrissons plutôt des maladresses de l’enfant qui prend des risques, qui essaie, qui trébuche, se trompe et recommence.
Pourquoi ne permettrions-nous pas aux élèves, qui ont bénéficié de cette attitude d’accueil depuis qu’ils sont tout petits et qui est toujours présente à la maison et dans les activités parascolaires, de retrouver ce confort dans toute activité d’apprentissage scolaire, notamment dans celles touchant le développement de l’écriture? Pourquoi ne permettrions-nous pas à tous les élèves, dès l’entrée à l’école, de mettre à l’écrit ce qu’ils savent déjà faire, à des niveaux différents, à l’oral? Cet accueil devrait entrainer un climat de détente et encourager les tentatives des enfants autant aux niveaux de la structuration du texte, des formulations syntaxiques et du vocabulaire que des hypothèses orthographiques. Cet accueil devrait permettre, en fait, de préserver à la fois la capacité des enfants à prendre des risques aux plans cognitif et langagier, laquelle a permis des développements phénoménaux au cours des six années précédant les apprentissages formels et le plaisir d’apprendre, sans crainte de se tromper, comme avec papa et maman, grand-maman et grand-papa, avec les éducatrices et les pairs.
«Accueillir» les écritures, mettre en place un tel contexte d’apprentissage facilitent le passage entre l’expression orale et l’expression écrite, la peur de l’erreur laissant la place à la spontanéité, la créativité, les essais et les hypothèses. On peut ainsi mieux situer le niveau des élèves sur le plan des divers développements, se centrer sur les besoins réels de ceux-ci et offrir le soutien qui convient à chacun. Tous n’ont pas les mêmes besoins et, par conséquent, ne nécessitent pas le même type de soutien, puisque tous ne sont pas au même niveau de développement au même moment. Une telle pédagogie de l’écriture, par sa nature développementale, permet en fait de soutenir à la fois les enfants qui cheminent aisément et ceux qui cheminent moins rapidement. Elle pourrait même, en impliquant une analyse différenciée non seulement des écarts entre les élèves mais également entre les divers développements chez un même élève (par exemple entre la capacité à raconter et la conceptualisation du système d’écriture), permettre d’éviter les «diagnostics» trop hâtifs, qui trop souvent altèrent notre perception des capacités de celui identifié comme étant en difficulté, et assurer un soutien «sur mesure».
Une pédagogie développementale de l’écriture demande, par contre, de la souplesse et des ajustements au niveau de la gestion de la classe et impose non seulement un soutien ponctuel mais également un suivi individuel. Dans le contexte actuel des réformes des programmes scolaires, qui font notamment place à l’usage d’outils pédagogiques individualisés tels le portfolio ou le dossier d’écriture, ces exigences, bien que non aisées, sont réalistes, et ce, même auprès de jeunes élèves qui entrent dans l’écrit. Par ailleurs, cette conception développementale de l’enseignement de l’écriture s’inscrit dans le courant actuel en pédagogie de l’écrit, qui met au premier plan l’interrelation lecture/écriture et qui veut donner une place plus importante à l’écriture. À cet égard, pensons plus particulièrement ici aux efforts faits au Québec à travers le Plan d’action pour l’amélioration du français (MELS, 2008), qui fait suite au dépôt du rapport produit par le Comité d’experts sur l’apprentissage de l’écriture et qui propose notamment que les élèves écrivent un texte au moins une fois par semaine.
Dans les conditions d’apprentissage que nous venons d’évoquer, le passage entre les livres d’histoire de la petite enfance et l’apprentissage de l’écrit peut se réaliser plus aisément, mais surtout, sans découragement ni larme. Dans ces conditions d’apprentissage, il apparait possible de faire écrire les enfants, même s’ils ne «savent pas écrire», surtout s’ils ne savent pas écrire. En effet, les développements réalisés avant l’entrée dans l’écrit et les connaissances importantes déjà construites sur l’écrit et à propos de l’écrit sont pris en compte dans une pédagogie où l’enseignant a un rôle de soutien et de guide… et également de lecteur. L’interaction lecture-écriture prend ici tout son sens, l’enfant devenant lui-même le lecteur de ses propres textes et même de ceux de ses pairs. Dans ce contexte pédagogique, le plaisir de lire et d’écrire avec lequel l’enfant est entré à l’école peut rester présent, facilitant ainsi le développement de l’ensemble des compétences en littératie.
Bibliographie
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