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Le coin lecture

Ici et seulement Ici

Christelle DABOS
Gallimard Jeunesse, 2023

Par Geneviève Hauzeur

Ici, c’est le collège dans lequel Iris, Pierre, Madeleine, Guy et bien d’autres traversent une année scolaire ponctuée de peines, rivalités, abandons et humiliations. Un collège où règnent la peur, le racket, la trahison et la domination des forts sur les faibles, sous les yeux impuissants, voire quasi absents, des adultes.

On pourrait croire à un classique récit de la violence ordinaire dans un bahut de banlieue comme théâtre des tourments de l’adolescence, avec son lot d’ambivalence et de règles tacites. Et de fait, c’est « Ici et seulement Ici » que tout se passe : dans le huis-clos des murs du collège, avec son étrange vie propre et quasi organique, quatre adolescents vont déposer, et voir chanceler, les forteresses de leur identité et les actes parfois cruels qu’elles génèrent.

Mais au fil du malaise qui émane de l’alternance des monologues intérieurs de chacun des personnages-narrateurs, on comprend qu’Ici et seulement ici trace l’espace clos non seulement du tourbillon impitoyable d’un collège qui pourrait être n’importe lequel mais également et surtout de la boite noire des adolescences qui s’y vivent, partout et de tout temps. Passés au scalpel par la plume féroce et poétique de Christelle Dabos, les remparts de l’adolescence sont ici aussi sombres qu’éclatants d’intensité.

Après le succès de La Passe-Miroir, quadrilogie fantasy, l’autrice française livre un puissant roman choral, où le réalisme magique s’allie au thriller psychologique pour donner corps aux pulsions contradictoires qui animent autant les adolescents que les adultes qu’ils sont devenus. Avec Ici et seulement Ici, Christelle Dabos confirme à quel point le « roman ado » peut être qualifié, selon l’expression de Clémentine Beauvais, de « roman d’intensité » et, pour cette raison, dépasser les limites de son public-cible.

Beethoven - La Symphonie Du Destin

Michel Honaker
Ker éditions, 2020

Par Déborah Danblon

De Ludwig van Beethoven, on connait le nom, souvent la musique – ou du moins une partie – mais connait-on l’homme et sa vie ? 
Sait-on que le génie fut d’abord un enfant martyr et battu au caractère heureusement bien trempé ? 
Que l’horreur de sa jeunesse ne l’a pas découragé de continuer la tradition musicale familiale ? 
Qu’il a débarqué à Vienne pendant que la révolution éclatait en France ? 
Qu’il fut un rustre parmi les princes en cette époque qui aimait tant les enfants précoces et que pourtant, il s’y est fait une place ? 
Qu’il a vu jouer Mozart, a eu cours avec Haydn qui l’a même apprécié, mais qu’il avait en lui, sa propre musique tellement en avance sur son temps ? 
Qu’il a été le maillon entre le classicisme et le romantisme ?
Et que, malgré les critiques, et ceux que ses œuvres déstabilisaient, lui y croyait ? 
Il n’a pas été le seul, heureusement.

Michel Honaker a toujours eu le talent de nous donner à découvrir l’existence des musiciens qu’il affectionne. De leur rendre vie, en quelque sorte. Et il le fait chaque fois avec talent, pertinence et simplicité, comme s’il s’effaçait derrière la grandeur du compositeur. Sous sa plume, Beethoven n’est plus une icône, mais un homme de chair, de sang, de colère, de génie et des souffrances… 

Bref, une tornade de sentiments à fleur de peau dont on mesure combien elle a nourri le prodige de sa musique. 

Des mots en fleurs

Marie Colot
Illustré par Karolien Vanderstappen
Éditions Cotcotcot, 2021

Par Déborah Danblon

Si vous aimez les mots, ce livre est fait pour vous ; si vous aimez les jardins, ce livre est aussi fait pour vous, et si vous n’avez pas de petit coin de verdure rien qu’à vous, ce livre est un jardin à glisser dans sa poche, à partager, à offrir.

Au fil des saisons, pendant toute une année, Monsieur Mots cultive son jardin au rythme du temps qu’il fait. Il se joue des mots comme on compose des bouquets et il nous prend par la main pour nous donner envie de faire pareil. 

Que voici un livre gracieux, délicatement écrit, harmonieusement illustré. C’est un joli voyage tout simple et profond. Juste délicieux à feuilleter, à lire, à déposer et à reprendre.

Les éditions Cotcotcot se sont spécialisées dans les livres papier et numériques. Dans la poésie, aussi. Depuis très peu, ils ont choisi d’élargir leur palette à des romans. Mais de romans, ces livres n’en ont que le format ; pour le reste, ils sont hors-normes, dans le meilleur sens du terme. Comme toute la gamme de leurs publications, ces ouvrages ne sont pas dans les clous et pourtant, ils sont accessibles. Leur force est sans doute de mêler l’illustration à l’écriture, sans infantiliser le lecteur, d’aborder des sujets qui réunissent les goûts et les âges et de proposer, en fleur sur le gâteau, de jolies pistes d’exploitations pédagogiques pour ceux que ça tente.

Journal d’un cancer tabou

Sophie Séronie-Vivien, 2021
Éditions Alice Poche

Par Déborah Danblon

Ils sont déjà douze, tout nouveaux, tout beaux et ils ne coutent pas chers. Eux, ce sont les deux fournées de premiers-nés de la collection poche de chez Alice jeunesse. Douze romans issus de leur catalogue, republiés en format poche avec de chouettes couvertures graphiques, des prix défiant toute concurrence et des fiches pédagogiques pour les enseignants.
Ils sont à destination du premier degré du secondaire et du tout public, bien sûr. À lire et découvrir sans modération ! Il y en a pour tous les goûts ! Et vivent nos éditeurs belges, qui s’adaptent et restent créatifs.
Parmi eux, soulignons l’essentiel et incontournable Journal d’un cancer tabou de Sophie Séronie-Vivien, anciennement titré L’attaque des céfoles..
À 12 ans, Fiona n’est plus un bébé. Ses parents la traitent pourtant comme telle et font comme si tout allait bien. Pourtant, une mère qui arrête brusquement de travailler et se met à porter une perruque ne va pas bien, c’est sûr. Et Fiona a besoin de réponses ; mais elle sent bien que ce n’est pas à la maison qu’elle les trouvera. Elle entame alors une conversation électronico-épistolaire avec une spécialiste de la maladie.
Par le point de vue d’une fillette et sous les réponses d’une spécialiste, le cancer se développe sous toutes ses coutures. On en parle sans tabou, précisément, mais sans lourdeur non plus, il y a même de l’humour. On s’attache aux personnages et on en sort bien informés. De quoi faire mieux face à la maladie.

Maudite soit la guerre

Didier Daeninckx & PEF - 2014
Éditions Rue du Monde

Par Graziella Deleuze

Ce monument, il a été construit quatre ans après la fin de la guerre, en 1922. L’artiste qui devait le réaliser ne voulait pas faire une sculpture avec des soldats, des fusils, comme il y en a sur toutes les places des villages de France. On lui a raconté mon histoire. Il m’a demandé de poser pour lui, avec mes sabots, ma blouse grise d’écolier, ma casquette à la main. J’ai encore grandi depuis, mais c’est bien moi, en statue, que l’on voit devant la liste des morts, le poing serré, avec cette phrase gravée à hauteur de mes yeux :  Maudite soit la guerre.

Ces phrases sont celles du narrateur-personnage, Fulbert Delorge, âgé de onze ans. Comme tous les enfants de son âge, celui-ci se rend à l’école où Monsieur Bonnard, l’instituteur, inscrit au tableau noir la date et la phrase patriotique du jour. Ces phrases sonnent comme autant d’appels au nationalisme pour nous, Européens contemporains, persuadés, il y a quelques mois encore, que la guerre sur notre territoire était décidément et définitivement un fait qui relèverait de l’histoire : dans les phrases de Monsieur Bonnard, il est question de « sacrifices de ses biens et de sa vie pour la patrie », « du devoir » et surtout « de l’honneur d’être soldat ». Le sujet de la rédaction sera, lui aussi, inspiré par le contexte : l’instituteur propose à ses jeunes élèves d’écrire à leur père au front pour « donner du courage à ceux qui défendent notre patrie, au péril de leur vie ». Pourtant, dans la classe de Monsieur Bonnard, certains, comme Théophile, n’ont déjà plus de destinataire à leur lettre. Fulbert, lui, espère encore que son père lira la sienne et décide de la lui porter en mains propres.

De nombreux albums relatent la grande guerre, ou un épisode de celle-ci comme la trêve de Noël*. Loin des hommages au courage, à la force, au sacrifice et à la virilité, Daeninckx et Pef, inspirés par un monument aux morts érigé dans un village du Limousin, donnent la parole à un jeune garçon dont l’enfance et l’avenir ont été ravis par le nationalisme aveugle des hommes. Maudite soit la guerre réussit ainsi le pari de conjuguer le réalisme des faits historiques à la défense d’un pacifisme assumé. 

* Morpurgo, M. (2005). La trêve de Noël. Paris : Gallimard Jeunesse. 

Collectionner les expériences vécues !

Carnet de voyage auprès de mon arbre.
Thierry Dedieu / Edmond de Garenne (2022)
Éditions Seuil Jeunesse

Par Marine André

Avec sa forme de carnet “élastiqué”, cet album jeunesse intrigue celui qui le découvre sur la table d’une librairie. La page couverture annonce qu’il est écrit par un certain Edmond de Garenne, lièvre représenté en sépia, équipé d’un appareil photo et d’un bloc-notes. Mais qui peut-il bien être ?

Comme dans son « Étrange Zoo de Lavardens », Dedieu brouille les pistes, rend floues les frontières entre l’imaginaire et le réel, entre le document d’archives et l’illustration inventée de toutes pièces. Sur la dernière page, on peut lire « ce journal a été réalisé à partir des archives personnelles d’Edmond de Garenne. Les images ont été collectées, compulsées et sélectionnées par Thierry Dedieu ».

En ouvrant le livre, Edmond nous invite à venir découvrir son univers à hauteur de lapin. Il habite la vaste forêt et sort chaque jour avec son appareil photo pour nous livrer le monde qui l’entoure. À travers la compile de moments volés au fil de ses promenades, le lecteur découvre des animaux et leur vie secrète. Mélange des genres, cet album propose au lecteur une collection de photos, de dessins et d’objets commentés par Edmond de Garenne comme autant de traces d’observation de son milieu. Le texte oscille alors entre information, poésie et humour. Cet album documentaire propose un retour vers la nature à travers des sensations et un regard innocent. Si cet album peut être exploré petit à petit, sans ordre ni organisation, sa lecture terminée, il parait évident que l’élastique rouge permet de ne rien perdre de ce qui nous est offert par ce drôle de lapin !

Inspirant pour notre propre vie, ce carnet de voyage suscite l’envie de garder des traces de ce que l’on visite loin de chez nous mais aussi de ce que l’on découvre au quotidien. C’est une incitation à se laisser surprendre par la nature, à se laisser fasciner par le simple, à scruter l’ordinaire pour le rendre extraordinaire.

« Soyons des aventuriers autour de chez nous ! »

Nos elles déployées

Jessie Magana
Éditions Thierry Magnier

Par Déborah Danblon

Première partie : on est en 1974, Solange a 14 ans et grandit en toute liberté à côté de Coco, sa mère délurée et moderne. Pour l’adolescente, plus de barricades et de MLF que de punitions. On lui apprend à penser, à se poser des questions, à faire ses expériences plutôt qu’à obéir. 
Chez Coco, on est ouvertes et progressistes, mais aussi accueillantes envers la détresse. Solange, elle, s’efforce d’être à la bonne place, entre ses envies, le poids d’un certain passé et les attentes qu’elle pense devoir porter.

Seconde partie : 2018, les gilets jaunes ont remplacé le MLF et Sido, la fille de Solange, a de qui tenir. Elle est bien décidée à ne pas subir le monde, mais à le faire bouger, sous le regard bienveillant de sa grand-mère et parfois un peu inquiet de sa mère. Trois générations qui, chacune à sa façon, mais toujours main dans la main, réfléchissent à la juste place à occuper.

Plus encore que le récit lui-même, tout l’intérêt de ce livre repose sur ses nuances et la relativité de certaines situations selon qui les vit. Pour ces femmes et celles qui les entourent, pas de recettes toutes faites, mais des chemins d’essais et d’erreurs. Les personnages sont humaines et pas plus héroïques que ça – comme la plupart d’entre nous. Mais elles réfléchissent et elles partagent.

Une formidable leçon d’humanité, juste à hauteur de femmes, quel que soit leur âge. À faire lire à toutes les filles. Et aux garçons aussi.